« Le lambeau » de Philippe Lançon

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« Il y a des livres qui nous touchent beaucoup, cela semble être le cas du Lambeau, mais que l’on peut difficilement commenter vu le sujet »

                                                           Jeanne

Prix Fémina 2018

Contrairement à cette crainte la discussion fut très animée. Contrairement à une crainte de l’auteur lui-même, la réception de cet ouvrage remarquable ne tient pas à sa matière, le  témoignage d’un survivant de l’attentat qui a sidéré la France entière, mais à la force de son style, de son inspiration, de son humanité, de l’universalité de cette expérience de vie. A l’exception de l’un d’entre nous qui ne l’a pas du tout apprécié, les autres l’ont couvert d’éloges. Je rappellerai les principales raisons pour lesquelles ce livre a enthousiasmé les un-es ou les autres. Un grand livre sur une matière peu noble, les tuyaux, la bave etc.. Un talent de portraitiste, tous les soignants de l’hôpital sont présents : de Chloé sa chirurgienne pour qui il voue une admiration sans bornes, aux infirmières avec leurs maladresses et  leur dévouement, aux  aides-soignantes parmi lesquelles Linda l’antillaise «  dont le corps  lui a servi de matelas, de corset et de tuteur » et aux policiers eux-mêmes qui veillent sur lui sans trop peser sur son corps meurtri. Une description vivante du combat mené pour renaître, pour devenir « un bon patient » avec ses sensations, ses odeurs, évoquant Pascal qui disait « tout le malheur des hommes tient de ce qu’ils ne savent pas rester au repos dans une chambre ». En quelque sorte un beau cas de résilience écrit d’une manière élégante, délicate par un homme cultivé qui puise ses ressources de résistance chez les auteurs qui l’accompagnent, Kafka, Orwell et sous le bras, toutes les fois où il descend au bloc opératoire, la mort de la grand-mère de Proust. La musique est l’autre accompagnatrice qu’il écoute avec son frère. Mutilé il a besoin des siens pour se reconstruire, de ses parents, « pour revenir dans les langes », de son frère toujours présent, de Marylin son ex-femme, de Gabriella sa compagne,  de ses amis …

Un livre très fort qui peut être relu comme un recueil de morceaux choisis car il est une leçon de vie.

« Ecrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d’autre. Du même coup, la séparation entre fiction et non-fiction était vaine : tout était fiction, puisque tout était récit, choix des faits, cadrage des scènes, écriture, composition. »

Bien que reconnu comme un grand livre, quelques un-es ont dit qu’ils « n’avaient pas envie de dire je l’ai aimé » et qu’ils ne l’offriraient pas à des amis. A l’opposé d’autres ont dit l’avoir tant aimé qu’ils ou elles l’offraient à leur entourage maintenant qu’il était publié en poche.

Beaucoup ont cité des extraits qui les avaient particulièrement plus pour des raisons diverses. Ils  étaient si nombreux que j’en ai sélectionné quelques uns au hasard tous révélateurs du style de Philippe Lançon.

Expressions choisies et non dénuées d’auto dérision comme le cou périscope rouillé, le visage en travaux, l’escalope à la sortie de la greffe de mâchoire.

Les morts se tenaient presque par la main. Le pied de l’un touchait le ventre de l’autre, dont les doigts effleuraient le visage du troisième, qui penchait vers la hanche du quatrième, qui semblait regarder le plafond, et tous comme jamais et pour toujours devinrent dans cette disposition mes compagnons C’aurait pu être une figure de danse macabre, comme celle que j’allais voir de temps à autre …dans l’église de la Ferté-Loupière, ou une guirlande de personnages découpé dans du papier par un enfant, … ou encore une version inédite et noire de  « La danse de Matisse ».

 « Ils (les parents) n’appartenaient pas au monde culturel et en ignoraient la malveillante bienséance »

 Il est difficile de ne pas prendre au sérieux ses sensations et ses émotions quand ce qu’on est devenu est réduit à elles  (sur le dolorisme dans sa lettre à ses deux journaux)

La chambre est aussi un confessionnal, un lieu voué au secret. Je n’en parlerai pas. (conversation avec sa chirurgienne sur sa famille, de ses chagrins,

Mon ancien corps s’en allait pour laisser place à un encombrement de sensations précises, désagréables et inédites, mais assez bien élevées pour n’entrer que sur la pointe des pieds. 

  Je me réveille avec ce nouveau tuyau qui part du visage pour finir dans un sac à main qui ronronne » (à propos du VAC :

 « Les héros ont une mission dont on parle trop peu : s’économiser »

Le funambule à muselière de gaze et d’adhésif » (la reconstruction de la mâchoire à partir de l’auto greffe d’os de péroné, Il faut bien vivre pour manger (une des pointes d’humour)

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