« Middlesex » de Jeffrey Eugénides

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Roman publié en 2002- Prix Politzer 2003.

Il s’agit d’une grande saga familiale qui traverse presque un siècle (de 1922 aux années 1990) et qui porte sur 3 générations : Les grands–parents grecs de la narratrice (Calliope)installés à Smyrne et qui ont émigré aux USA, ses parents nés aux USA  qui ont intégré la culture américaine et qui vivent dans le quartier résidentiel de «  Grosse pointe » de Détroit et enfin, Calliope elle-même qui souffre d’une anomalie sexuelle.

Trois fils conducteurs se dégagent de ce roman, certains ont parlé de « lignes musicales » : La vie de Desdémona (la grand-mère) et de son frère  Lefty (le grand-père) à Bithynios, un petit village, près de Bursa en Asie mineure. Desdémona tient un élevage de vers à soie. En 1922, l’incendie des quartiers chrétiens de Smyrne  (qui a fait plusieurs milliers de morts) va l’amener à fuir ce pays avec son frère.  Sur le bateau qui les mènera aux Etats-Unis, ils vont former un couple incestueux et se marier. Leur situation restera un secret au regard des membres de leur famille qui les accueillera à Détroit. Cette consanguinité aura, on le verra par la suite, des retentissements sur l’hermaphrodisme de leur petite fille Calliope.

Deuxième fil conducteur, l’évocation de la vie de ces immigrés aux USA en une grande fresque historique. Le tableau est extrêmement complet : la crise de 29, l’industrie automobile, le fordisme, la prohibition de l’alcool, la guerre en Europe, la guerre du Vietnam, les luttes antiracistes avec Malcom X, les émeutes raciales de Détroit du 23 juillet 1967 qui ont été très meurtrières, l’attaque des turcs sur l’ile de Chypre, le lancement de chaines de restauration industrielle, etc… .

Troisième volet, le questionnement de la narratrice sur son identité sexuelle.  Lors de ses premiers émois à l’adolescence, Calliope se tourmente sur les transformations de son corps qu’elle cache à sa famille. Elle vit une relation amoureuse forte avec une  jeune fille qu’elle surnommera  « obscur objet ».

A 14 ans, à l’occasion d’une hospitalisation en urgence, le destin de Calliope bascule. Les médecins diagnostiquent son hermaphrodisme. Calliope tombe entre les mains du docteur Luce qui pense avoir à sa disposition un cas clinique allant dans le sens de sa thèse selon laquelle le genre est un acquis. Pour lui ce qui prime c’est « le sexe d’élevage ». Informant de manière incomplète les parents de Calliope sur les résultats de ses examens et sur les enjeux d’une opération, il les décide à faire une intervention chirurgicale et un traitement hormonal pour renforcer  l’identité sexuelle féminine de Calliope. Celle-ci, après avoir eu fortuitement accès à son dossier médical et avoir pris conscience de la complexité de la situation, notamment, de son patrimoine génétique comportant les chromosomes XY, décide de fuguer vers la côte Ouest. Après de longues aventures et des rencontres très  diverses, elle choisira avec une maturité très précoce et beaucoup de détermination d’adopter l’identité masculine et se fera appeler : Cal.

                                                                                                                                                             …/…

                                                                                                                                                                                       

Ce roman a été perçu de façon très positive par la majorité d’entre nous, même si environ un tiers parmi nous  a eu du mal à accrocher ou ne l’a pas apprécié en raison de longueurs, de digressions, du caractère touffu de la retranscription de la généalogie de cette famille, de l’excès de romanesque, de manque de sobriété.

Sans en méconnaitre les longueurs, et certains aspects superflus (comme l’épisode avec le gourou), ce roman a été globalement apprécié d’une part, pour son style très alerte, « flamboyant », plein de rebondissements, de suspens,  de vitalité, d’humour et d’autre part, pour  l’intérêt des sujets traités dans un cadre rappelant les romans d’aventure.

La plupart d’entre nous ont trouvé très impressionnant le récit de l’incendie de Smyrne et ont aimé les développements du livre autour de l’élevage du ver à soie. Beaucoup d’entre nous ont trouvé très attrayants l’insertion d’une saga familiale dans la grande histoire des USA ainsi que  le regard porté sur la vie d’immigrés grecs aux USA (rencontre de deux cultures : l’une rattachée au monde « irrationnel » du Moyen-Orient et l’autre au monde occidental).

Le sujet de l’identité sexuelle traité avec beaucoup d’acuité a suscité, en général, beaucoup d’intérêt. L’auteur nous fait assister à la transformation, après un long parcours, d’une jeune fille en homme en nous amenant à nous interroger sur notre rapport à la différence et sur le dilemme du choix d’identité. Il nous amène à mettre en parallèle cette situation avec celle des immigrés arrivant dans un nouveau pays et pour lesquels se pose un problème de statut et  d’identité culturelle.

 Il va plus loin, en nous montrant que Cal,  bien que voulant être un homme, est capable d’être pluriel et de rester « une fille » avec sa mère en partageant ses confidences, en gardant un comportement particulier avec elle. Il se donne la possibilité de changer de registre, de façon d’être selon la personne avec qui il est.

Ce livre a suscité  un certain questionnement plus général : – En cas d’anomalie sexuelle (heureusement très rare) quand prendre la décision de « réassignation sexuelle »? Pendant l’enfance pour éviter de grandir dans l’ambigüité sexuelle ou plus tard pour permettre à l’adolescent de choisir lui-même.

  • Réflexion sur la médecine qui se sert de ses patients pour faire une carrière ou pour défendre une doctrine (voir le comportement du Dr Luce).
  • Réflexion sur les droits des hermaphrodites (voir le personnage de militante de Zora).

 Pour information :

Jeffrey Eugénides a mis 8 ans à écrire ce livre. Il s’est intéressé aux mémoires d’Herculine Barbin   rééditées et présentées par Michel Foucault. Dans les années 1860, Herculine Barbin, femmehermaphrodite, est « réassignée » homme, par une décision de justice, après expertise médicale.

Le docteur Luce est un personnage inspiré du docteur John Money, défenseur de l’identité sexuelle rattachée à l’éducation.                                                                                                                                                    

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