« J’ai couru vers le Nil » Alaa El Aswany

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Début des années 2010 La révolution couve en Egypte. Mais les Egyptiens sont réputés pour n’avoir aucun sens de la révolte et de se soumettre très facilement et docilement à leurs Maitres. Le général Alouani , Chef des Forces Armées, n’est pas inquiet, certes ses services de sécurité l’informent de tentatives de révoltes mais rien qui ne puisse déstabiliser le gouvernement en Place. Or tous les soirs des rassemblements ont lieu place Tahrir et sont loin de s’essouffler malgré l’intervention de la police secrète, des gaz lacrymogènes et même des armes tirées contre la foule. Alors il faut prendre d’autres mesures : on va libérer des prisonniers à qui on priera de foncer sur les contestataires du régime. Le Président Moubarak finit par se démettre de ses fonctions. La foule  crie victoire, mais ces cris de victoire sont de courte durée car  rien n’a changé et ce sont les mêmes hommes qui tiennent les rênes du pouvoir et n’ont aucune intention de le lâcher.

Mais qui est le Genéral Alouani , principal personnage de ce roman ?

L’histoire commence par le Général qui commence sa journée avec la prière du matin à la mosquée avoisinante, entouré de ses gardes du corps, il fait ses ablutions , sa prière et s’assure que chaque acte de sa vie est conforme à la charia. Il saute son énorme épouse, devoir conjugal tout à fait conforme à son devoir de mari parfait,  puis il se rend à son bureau désigné comme le siège de l’Organisation. Ce jour là , comme souvent depuis quelque temps a lieu un interrogatoire qui devient une habitude, on applique une décharge électrique aux testicules d’un  le prisonnier politique pour le faire parler. Et coup final, le Général lui vocifère des propos  particulièrement chastes : Tu vas  parler, fils de pute, si tu ne parles pas , je laisserai sauter ta femme par mes Hommes sous tes yeux ». Oui le Général Alouani est un musulman paisible, intègre, nous en aurons la belle démonstration tout au long de ce roman glaçant, à travers une galerie de portraits , l’auteur qui a manifestement pris le parti des laissés pour compte, nous décrit minutieusement tous les épisodes douloureux de la reprise en main par l’Armée du pouvoir et de l’Ordre en Egypte, d’un pays ultra corrompu, de Généraux négociant dans l’ombre avec les Frères Musulmans ,et prêts à tout pour rester en place.

Ce général Alouani a une faiblesse : celle d’aimer sa fille Dania qui tout en étant consciente de son rang, ignore tous les actes de son père.  Pieuse , attentive aux prêches du Cheikh Chamel, elle termine sa médecine aux côtés de Khaled dont elle est secrètement amoureuse. Khaled, qui fait la fierté de son père chauffeur du Directeur de l’usine et tente de la sensibiliser à la révolte naissante. Les personnages vont souvent 2 par deux, des couples improbables, qui se découvrent une passion soudaine pour soutenir le Mouvement de révolte contre le Régime en place.

Il y a Achraf,  vieil acteur de second rôle , copte , accro au shit, détesté par sa femme qui vit une passion brûlante avec sa  femme de ménage, et jouera une rôle essentiel dans le Mouvement, une étudiante idéaliste liée à Mazen, ingénieur dans une usine italienne, impliqué dans la reprise de l’usine par les ouvriers et finalement trahi,  et deux caricatures du régime : le Cheikh Chamel , parfait charlatan, usant de son prestige pour s’enrichir et abuser de jeunes femmes  naïves,  et Nour, femme prête à tout pour sortir du lot, manipulatrice avec les hommes y compris de se voiler à la télévision  et devenir en peu de temps l’incarnation de la femme égyptienne modèle, respectueuse du pouvoir en place et accumulant mensonges et mises en scène pour défendre le Régime.

 « Un jour, elle avait lu sur le journal mural un article de lui où il disait que la morale sans la foi valait mieux que la foi sans la morale……
Je prie, je jeûne, j’accomplis toutes les obligations, mais je crois que la religion véritable, c’est ce que l’on fait et pas ce que l’on croit. La religion n’est pas un but en soi mais elle est un moyen de nous enseigner la vertu. Dieu, qu’il soit glorifié et exalté, n’a pas besoin de notre prière et de notre jeûne. Nous prions et nous jeûnons pour notre propre éducation. L’islam n’est pas quelque chose de formel et de rituel, comme le croient les salafistes, et ce n’est pas non plus un moyen de s’emparer du pouvoir, comme le croient les frères. Si l’islam ne nous rend pas plus humains, il ne sert à rien, et nous non plus. »

Alaa El Aswany  égyptien né au Caire est devenu romancier . Il  nous a enchanté avec son premier roman paru en 2002 « L’immeuble Yacoubian ». D’autres romans ont  suivi. En 2011, Alaa El Aswany fut une des figures emblématiques de la révolution égyptienne.  Son roman J’ai couru vers le Nil reste interdit en Egypte.

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