
Le cercle s’est réuni par zoom et nous étions assez nombreux. Nicole F et Juliette nous ont rejoints.
Ce compte-rendu, écrit par Nicole G, traductrice d’une partie des nouvelles, comporte à la fois les réactions des participants et des explications données lors de la réunion, reformulées plus clairement ici.
Dans son ensemble, le livre a été apprécié par tous. Sa lecture a été considérée comme facile. Le talent d’écrivain de l’auteur a été souligné, les nouvelles se lisent bien, la chute n’est pas toujours attendue, les histoires sont variées. Le glossaire a été jugémalcommode, des notes en bas de page auraient été préférables, car de nombreux termes nécessitent une explication. Comme, pour certains, la lecture remontait à six mois du fait du confinement, les souvenirs n’étaient pas tous précis.
Ce qui a été le plus souvent mentionné est la dureté des histoires, la cruauté du système des castes et l’impression d’un système figé dont il est impossible de sortir. De ce fait, certains ont lu le volume en plusieurs étapes. Le fait que toutes ces histoires correspondaient à des expériences vécues par l’auteur, ce que l’on peut lire dans son autobiographie, donnait un sentiment de vécu très net. Les thèmes principaux abordés sont la discrimination et l’incompréhension de ses raisons, ce qui a mené à parler du système des castes, du sort des femmes qui est traité selondifférents points de vue dans plusieurs nouvelles. La discussion a donc porté aussi sur l’histoire et la politique en Inde. Les nouvelles qui ont été le plus citées sont :
Salaam dont on a retenu à la fois la possibilité d’une amitié entre brahmane et dalit en ville, et l’existence de l’intolérance au sein même de la population dalite, ici contre les musulmans.
Valmiki a vécu l’expérience du Salaam en accompagnant le mariage d’un camarade de classe, alors en 1ère. Il dit ensuite à son père qu’il faudrait abolir cette coutume humiliante pour les jeunes mariés. On voit bien dans la nouvelle que les hautes castes ne supportent pas que le mariage ne respecte pas cette tradition. Il a eu pour amis des gens de haute caste qui n’imaginaient pas ce qu’il subissait et qui, en le découvrant, étaient violemment révoltés.
Où pourrait bien aller Satish ? a été considérée comme la plus émouvante, ce jeune garçon bloqué ou rejeté de tous côtés, car bien que dalit, il veut étudier. On a souligné que le personnage de la mère est le plus odieux, sensible au qu’en-dira-t-on, tandis que le père ne sait protester efficacement.
C’est aussi la nouvelle qui m’a le plus touchée. Lorsque Mme Pant comprend quelle est sa caste, plusieurs éléments sont évoqués qui correspondent aux réactions des gens castéistes, son dégoût physique lorsqu’elle jette son linge qui séchait, sa peur de l’opinion de sa voisine, image de la pression sociale exercée par les extrêmes, l’image du rakhi nouée par sa fille et donc un lien de fraternité impensable. Ce garçon est aidé par un professeur, Sharma, un brahmane. On peut essayer de se réconforter en espérant qu’il va de nouveau l’aider.
25 fois 4, 150 a été considérée comme positive à cause de la prise de conscience et de la révolte finale du père, comprenant qu’il s’est fait tromper par le chaudhari.
Moi j’y voyais la souffrance de l’enfant, son conflit de loyauté, pris entre son père et son professeur. Puis l’autre souffrance qui est de désillusionner son père qu’il respecte, de lui démontrer qu’il a été trompé.
La peau du bœuf a été particulièrement appréciée pour son humanité.
On peut souligner que l’auteur a lui-même pratiqué le dépouillement d’un bœuf dans son enfance alors que le prix de vente de la peau était nécessaire à la survie de la famille.
Le rêve a surtout étonné, car la priorité paraissait de construire un collège plutôt que des temples.
Les grandes entreprises d’État sont souvent des lieux clos, comportant des zones d’habitation (colony) et divers services, un bureau de poste par exemple. L’idée de construire des temples n’est pas étonnante. L’auteur ne critique que les hindous, incapables d’unité. Il évoque les restes de l’interdiction traditionnelle faite aux intouchables d’entrer dans les temples. Ils sont hindous pour servir, mais pas pour en recueillir les fruits.
L’éclipse a été évoquée à propos du sort des femmes qui ne peuvent enfanter du fait de la stérilité de leur mari. Sa façon de régler le problème a été approuvée.
Cette nouvelle montre que même une femme de haute caste et riche peut se trouver en situation difficile dans une belle famille rétrograde. Ici, c’est la campagne, et la pression sociale s’exerce au sein même du groupe des femmes. Elle a la chance de tomber sur un jeune timide et naïf auquel on ne s’intéressera que dans la nouvelle suivante, la femme de Biram. En effet, alors que la situation de celle-ci a été complètement rétablie par sa grossesse, le jeune dalit, qui l’a « sauvée », est profondément perturbé et prend conscience qu’il ne peut y avoir aucune relation entre eux, même pas un simple coup d’œil.
La bête sauvage a été aussi évoquée à propos du sort des femmes. On a noté que Jagesar est si soumis qu’il accepte de battre ses ‘frères’ dalits .
Jagesar est un enfant confié pour travailler en paiement d’une dette, ici oubliée. C’est une raison fréquente du travail des enfants. Il faut savoir que beaucoup de pauvres s’endettent à l’occasion d’événements tels un mariage qui exige de grandes dépenses et que l’usure est un fléau. Elle est d’ailleurs évoquée dans Amma (la dette au Sardar).
Les femmes sont souvent considérées comme des fardeaux pour leur famille, car la tradition veut que la femme appartienne à la famille de son mari. De plus, malgré son interdiction, la dot est encore très souvent exigée et peut être très élevée. D’où des avortements ciblés depuis que l’échographie le permet et de la maltraitance entraînant une surmortalité des filles. La jeune mariée est soumise à l’autorité de sa belle-mère, car la famille élargie est encore fréquente. Sa situation dépend donc complètement de la famille. Ici on voit que la belle-mère ne protège pas la femme de son fils, sans doute parce qu’elle-même a été traitée comme un bien commun par les hommes de la famille. La préférence donnée à l’enfant garçon entraîne donc un déficit de filles au moment du mariage. Or un homme n’est « complet » que lorsqu’il est marié. Cela renvoie à la religion où chaque grand dieu a sa femme, sa « shakti », c’est-à-dire son énergie. Ce problème d’accès aux femmes génère un trafic qui recrute des femmes dans les états les plus pauvres pour les familles d’états plus riches.
Il me semble qu’on pourrait être optimiste, car on a le sentiment que Jagesar se pose en protecteur de la jeune fille et qu’il ne va pas se soumettre à son maître.
Le meurtre de la vache a été commentée avec le traditionnel droit de cuissage qui semble universel.
Il existe une loi contre les atrocités commises à l’encontre des dalits, car ce qui est décrit dans cette nouvelle entre, malgré son habillage de jugement de dieu, dans cette catégorie. Mais la loi n’est pas bien appliquée. Ces atrocités se déroulent le plus souvent à la campagne où la tradition est plus prégnante. Un comportement jugé comme arrogant, contrevenant à l’ordre social établi, peut suffire à provoquer des atrocités.
Tempête a soulevé un espoir que les jeunes générations fassent changer les choses, Pinky reprochant à son père d’avoir délaissé sa famille pour protéger sa carrière de l’infamie d’être d’origine intouchable.
Cette nouvelle aborde la question d’assumer ou non ses origines. Valmiki a choisi de garder son nom et en a subi les conséquences par divers incidents. Cela lui a été reproché par sa famille qui l’a renié à plusieurs reprises et par sa femme elle-même. On voit dans cette nouvelle les stratégies de M. Lal qui s’attribue diverses castes selon ses interlocuteurs en tablant sur leur caractère local. La ville permet ce genre de subterfuge, mais il reste toujours une inquiétude sur une éventuelle révélation.
Panique a été commentée sur le traumatisme de devoir tuer soi-même un animal.
Dinesh qui vit en ville, cache sa caste et a pour ami un brahmane, visiblement anti dalit. Le retour de ferveur religieuse de sa mère l’oblige à pratiquer des rituels qui l’horrifient, mais surtout il craint que son ami ne découvre qui il est, le rejette et pire, le dénonce à tous. Sa crise de panique allie les deux aspects, il voit la truie grogner et Tivari ricaner. Panique.
Des questions plus générales ont été soulevées, en particulier sur l’évolution actuelle.
Pour y répondre certaines explications figurent à la fin de ce compte-rendu.
La situation politique actuelle n’est pas bonne pour les dalits. Le parti au pouvoir, le B.J.P. est un parti extrémiste hindou qui affirme qu’être indien, c’est être hindou, et pratique la discrimination envers tous les non -hindous, en particulier les musulmans. Le Premier ministre, Modi, est lui-même issu du R.S.S. (association des volontaires nationaux) dont il était un cadre important. Cet organisme, fondé en 1925, est la matrice de tout un ensemble d’associations, qu’on appelle généralement la famille du Sangh, dont le but est d’exalter « l’hindouité », liant hindouisme et nationalisme. C’est une organisation de type paramilitaire qui noyaute la population par des réunions quotidiennes comportant des jeux, de l’endoctrinement, des cérémonies au drapeau. Officiellement, les dalits sont considérés comme hindous et à ce titre sont recrutés par le R.S.S., mais on les y maintient dans des positions de subordination, réservant les responsabilités à des castes plus élevées. Nous venons de traduire un livre écrit par un dalit qui a vécu cet endoctrinement, qui en est sorti, et mène actuellement des actions contre le R.S.S. et toutes les organisations affiliées. Une version anglaise de ce livre existe : I could not behindu par BhanwarMeghwanshi, (un peu remaniée par rapport à l’original hindi, d’où notre travail).
La politique du B.J.P. n’est pas favorable aux dalits dans la mesure où elle exacerbe les traditions. Ainsi des dalits ont été agressés, accusés d’avoir tué des vaches alors qu’ils ne faisaient que leur travail traditionnel.
Un éclairage a été apporté sur les notions de castes, distinguant deux termes, varna et jati, regroupées en français sous le même terme de caste, ce qui rend la compréhension difficile. Le varna correspond à ce qui est la plus connu, la répartition entre Brahmane, Kshatriya, Vaishya et Shudra. Une partie de la population n’entre pas dans ces quatre catégories et est souvent dite « hors-caste », or elle a une caste, la jati. La jati correspond à une notion plus pratique et qui concerne absolument tous les hindous. L’activité définit la jati et réciproquement. Il y a aussi dans le mot une notion quasi biologique d’espèce. Elle définit l’individu à sa naissance et il lui est impossible d’en sortir.
A été abordée également la discrimination positive, un système mis en place avant l’indépendance. Il s’agit de réserver un certain nombre de places dans les concours ou de postes dans la fonction publique, à des dalits selon une liste dite des S.C. (Scheduled Castes). Ce système a ensuite été étendu au début des années 90 aux basses castes, dites O.B.C. (OtherBackward Classes). Du coup, environ la moitié de la population bénéficie de cette discrimination positive, ce qui crée pas mal de problèmes, les autres devenant défavorisés du coup ! Certains cherchent à modifier leur caste pour bénéficier du système. C’est un véritable imbroglio, passablement inextricable.
Au final, ceux qui connaissent le pays ont signalé que l’Inde ne se résumait pas à cela, que c’est un pays magnifique et très attachant, d’un point de vue de la culture, de l’architecture, de l’art, des couleurs, de la cuisine, etc. ! Mais il est vrai que son évolution politique actuelle ne donne pas forcément envie d’y retourner.
Note sur le système des castes et la discrimination positive
Ceci n’est qu’une très courte présentation pour vous permettre de mieux comprendre les nouvelles que nous discuterons en mars. La page « castes en Inde » de Wikipedia n’est pas mal du tout et permettra à ceux qui veulent plus de détails ou des références bibliographiques de les trouver.
Ce que nous appelons caste correspond en Inde à deux notions, le varna et la jati.
Le varna découpe la population en quatre groupes issus selon le mythe d’un homme primordial. Les brahmanes sont sortis de sa tête, les kshatriyas de ses bras, les vaishya de ses cuisses et les shudras de ses pieds. Ce sont dans l’ordre, les savants ou prêtres, les guerriers, les marchands et les serviteurs. Ceux qui ne sont pas de ces varnas sont hors castes.
La jati est une notion basée sur l’activité, le métier. Le mot a un sens qui renvoie à l’espèce. Un individu est défini par sa naissance, sa jati et rien ne peut modifier cela. Il n’y a pas de mobilité en principe. Les jatis s’inscrivent dans les varnas mais il y a des zones floues. Il y a un nombre immense de jatis et certaines sont régionales ce qui rend leur reconnaissance moins évidente pour une personne d’une autre région (ex dans tempête) .
Tout le système est hiérarchique et chacun se définit comme au-dessus de quelqu’un d’autre.
L’intouchabilité
Les jatis dont l’activité est liée à des tâches « impures » c’est-à-dire liées à ce qui sort du corps, sont considérées comme impures elles-mêmes, depuis le blanchisseur (dhobi) le barbier (nai), la sage-femme, le tanneur, etc., jusqu’au vidangeur qui nettoie les toilettes. Elles sont donc considérées comme intouchables.
Cela se manifeste pas une exclusion de l’espace : les jatis intouchables vivent dans un quartier à l’écart du village, ont leur propre puits et ne peuvent se servir du puits général. On ne peut boire de l’eau servie par eux. (ce sont les brahmanes qui peuvent être cuisiniers sans problème pour tout le monde !) etc. Les intouchables ont été longtemps bannis des temples, mais la situation évolue. Cependant… voir « le rêve ».
Cependant dans le village, ils assurent les services de leur métier et leur position subalterne est ritualisée par exemple par le salaam qui oblige tout nouveau marié intouchable à faire le tour des maisons pour se présenter et recevoir un cadeau.
Le rite décrit dans « l’éclipse » correspond à un transfert de la malédiction liée à l’éclipse sur les basses castes par une distribution de céréales.
D’une façon générale, tout comportement associé à ce que les hautes castes considèrent comme leur domaine réservé est puni : par exemple que le fiancé aille à cheval dans sa procession de mariage.
Cacher sa jati.
C’est impossible dans le système du village. Par contre, en ville, en modifiant son nom, ce qui est facile, car il n’y a pas de véritable étatcivil en Inde, on peut le faire. C’est le cas du père dans Tempête. Mais cette situation est stressante et peut mener à « panique »
La situation des femmes
Le village est dominé par le panchayat, conseil du village souvent dominé par les hautes castes. Il existe aussi des panchayats de castes qui font régner l’ordre au sein des castes, d’où certains ‘crimes d’honneur’. Les femmes sont particulièrement vulnérables à ce système de domination. Leur rébellion peut être fatale, voir « Le meurtre de la vache ».
Les femmes de haute caste ne sont parfois pas mieux loties, car le système est aussi patriarcal. Voir « l’éclipse, la femme de Biram, la bête sauvage ».
La discrimination positive
La pratique de la discrimination est interdite dans la constitution indienne, mais cela reste au niveau des idées générales. La loi personnelle n’a pas été touchée et donc les actes essentiels de la vie restent régis pas la religion et les préjugés, ainsi le mariage.
Ce sont les Britanniques qui ont pris les premières mesures de discrimination positive, favorisant l’éducation des « depressed castes » puis leur accordant un quota d’emploi dans les entreprises publiques. La notion juridique de « Scheduled Castes » (S.C.) ou « castes répertoriées » apparaît en 1931.
Les quotas d’emploi et les quotas d’élus sont maintenus, mais de façon transitoire, 20 ans, puis prolongés de dix ans en dix ans.
Le rapport Mandal en 1980 est longuement discuté et aboutit en 92 à un nouveau système de quota qui étend les réservations aux autres classes arriérées (OtherBackward Classes). Je vous conseille de vous référer à la page Wikipedia citée plus haut qui est vraiment détaillée sur ce sujet.
Le système de discrimination positive a pour effet de renforcer la notion de caste. Il y a des stratégies de castes pour obtenir ces avantages qui peuvent aller jusqu’à baisser leur statut ! Bien sûr toutes les hautes castes exclues du système ne sont pas uniquement constituées de familles aisées et la rancœur de ces populations se manifeste parfois violemment. Des vidéos circulent montrant le S.C. nul à l’école qui devient le chef forcément odieux de son ancien condisciple savant, mais pauvre. La permanence du système fait qu’alors qu’une partie importante des populations officiellement concernées n’en bénéficient pas, ceux dont les parents ont déjà acquis une bonne situation sociale continuent à bénéficier du système.
Dans l’entreprise (publique seulement) les personnes ayant bénéficié des quotas sont souvent considérées comme incompétentes quelle que soit leur situation et surtout jalousées, voir « La machination ».
Bhim Rao Ambedkar (1891-1956), de caste mahar, c’est-à-dire intouchable, éduqué par la protection du maharajah au service duquel était son père, multi diplômé, devient leur leader et sera le ministre de la Justice du premier gouvernement Nehru. Il est le rédacteur principal de la constitution, mais démissionne en voyant le refus de traiter la loi personnelle. Persuadé que la seule solution est de sortir de l’hindouisme, il se convertit publiquement avec une foule d’autres dalits au bouddhisme en 1956.
Dernier point, le dharma :
Ce mot désigne à la fois l’ordre du monde et l’ordre que doit suivre une personne en fonction de sa position dans la société. Il contribue donc à justifier le comportement de l’individu : un kshatriya tue sans problème. Un vaishya n’a pas de scrupule à voler un peu ses clients, etc. Quant aux basses castes, ils sont nés là, car leur karma n’est pas bon, mais en respectant leur dharma de soumission ils l’amélioreront.
Pour ceux qui veulent n’en lire qu’une partie
Nouvelles qui ont pour cadre le village : Salaam, La peau du bœuf, Le meurtre d’une vache, L’éclipse, La femme de Biram, Vingt-cinq fois quatre cent-cinquante, La bête sauvage.
La ville : Panique, Où pourrait bien aller Satish ?, Tempête, Amma
L’entreprise : Le rêve, La machination
Sur les sans-terre : Nomades
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