La vaste majorité des lecteurs ont aimé, voire adoré ce roman (« succulent »), qui constitue le troisième d’une trilogie que Jonathan Coe a consacrée à l’histoire récente de son pays depuis les années Thatcher, puis Blair au travers de l’histoire de la famille Trotter sur quatre générations. L’histoire se situe à Birmingham, dans les Midlands, l’un des « cœurs » de l’Angleterre désindustrialisée à l’ère Thatcher, que connait bien l’auteur qui y est né. L’une d’entre nous qui avait lu le précédent livre a cependant été déçue par rapport à l’annonce médiatique. Une seule lectrice avait lu les deux précédents opus (Bienvenue au club, et Le cercle fermé), mais démarrer par celui-ci n’a semble-t-il gêné personne.
Le livre couvre la période Cameron puis Theresa May depuis 2010 jusqu’en 2018, et est scandé par divers évènements politico médiatiques tels que le gouvernement de coalition Cameron/Clegg de 2010, l’ouverture des JO de Londres de 2012, la vague d’attentats terroristes, le meurtre de la députée Jo Cox ou encore et surtout le referendum du 23 juin 2016. Le personnage central c’est Benjamin, facilement identifiable à un double de l’auteur, nonchalant, nostalgique du passé, qui ne souhaite pas s’engager dans les conflits ni familiaux ni politiques. Sa sœur Lois, la fille de cette dernière, Sophie, ainsi que Ian mari de Sophiereprésentent le deuxième cercle, tandis que gravitent tout autour une série de personnages à la psychologie fouillée. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, c’est un maillage de vies qui s’entre croisent et nous donnent des pistes pour comprendre comment l’Angleterre en est arrivée là : nationalisme, haine de l’étranger, mais aussi incompréhension entre jeunes ouverts au monde et seniors, désindustrialisation, changements des paysages urbains, accumulation de frustrations et de rancoeurs, rejet des minorités qui ne sont pas que des étrangers (transgenres par exemple) avec à l’autre extrémité les minorités qui n’ont que faire de la majorité, fossé croissant entre centres villes mondialisés et campagnes, entre classe moyenne et élites… beaucoup de ces problématiques ont été pointées comme similaires en France, en particulier dans le Nord et l’Est de la France – cf notre prochain Cercle. On sent qu’on frôle parfois le dégagisme, plus rien n’est carré dans la tête des gens, et c’est parfois pénible à lire.
Tous les lecteurs ont trouvé le style fluide et vivant rendant bien l’atmosphère sociale et politique. L’intelligence de la construction a été appréciée avec d’entrée de jeu la mise en scène des personnages,puis chaque chapitre daté précisément.La transposition en une série télévision a été évoquée plusieurs fois. L’humour très british de Coe avec les « understatements », ainsi que les scènes hilarantes telles que l’épisode du placard (qui a semble-t-il marqué certains esprits…), la mélancolie, la poésie, la tendresse, voici quelques-uns des qualificatifs cités.
La montée des antagonismes culminant avec les résultats du Brexit est abordée avec subtilitégrâce au large panel d’opinions des divers membres de la famille sans que l’auteur ne les juge jamais. Le cynisme de Doug l’ami d’enfance de Benjamin devenu journaliste fait écho à celui de l’élite politico-financière qui a abandonné depuis des décennies la classe moyenne. Il a été relevé avec pertinence que le duel des clowns symbolise celui des politiciens.
Le titre traduit en français Le cœur de l’Angleterre a également été discuté : selon l’une d’entre nous c’est une mauvaise traduction de Middle England qui fait référence à la middle class anglaise, ou low middle class, qui affiche plutôt des positions conservatrices ou de droite- Beautiful Brexit baby, dernière phrase du livre, pourrait constituer une alternative; selon d’autres au contraire il serait fait référence au cœur organe du sentiment plutôt que centre géographique des Midlands.
Le rapport au temps qui passe est un autre aspect qui a été abordé via le personnage de Benjamin: il s’est écoulé douze ans entre deuxième et troisième livre. Et entre le début et la fin de celui-ci, à nouveau neuf années qui ont beaucoup changé de choses dans la vie mentale de ce quinquagénaire devenu sexagénaire.
Jonathan Coedésirait reprendre la saga de la famille Trotter avec Benjamin et ses copains d’école, et le résultat du Brexit au soir du 23 Juin 2016 lui a fourni le point de départpour illustrer « les aspects sous-jacents de colère et de division… je voulais me focaliser surtout sur les personnages les plus jeunes, en particulier Sophie la nièce de Benjamin, et son mari Ian. Raconter l’expérience d’un jeune couple dont l’un et l’autre ne sont pratiquement d’accord sur rien mais qui doivent néanmoins trouver une manière de vivre ensemble me semblait un chemin évident pour mettre en scène les failles de la société britannique moderne… Me remémorer Benjamin et les autres a représenté pour moi comme une rencontre avec de vieux amis après une longue absence, et j’espère que les lecteurs partagent ce même sentiment ».
Bref le choix de ce livre contemporain à maints points de vue a remporté un large consensus.
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