« Leurs enfants après eux » Nicolas MATHIEU

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Amazon.fr - Leurs enfants après eux - Prix Goncourt 2018 - Mathieu, Nicolas  - Livres

Une majorité a apprécié « Leurs enfants après eux » alors que trois d’entre nous ont été peu voire pas du tout convaincus. C’est le roman de la désindustrialisation, roman social par excellence, roman de l’ennui et de la difficulté à vivre et même à survivre, roman d’initiation aussi. C’est l’histoire de quatre adolescents, que l’on suit sur quatre étés, entre leurs quatorze ans en 1992 et leurs vingt ans en 1998, entre destins avortés et vaines tentatives pour échapper au déterminisme social. Anthony, Hacine, Clem, Steph, qui se connaissent depuis l’enfance, trainent leur ennui dans Heillange : le nom est inventé mais calqué sur celui d’autres cités semblables en Lorraine ; la description est fidèle et rappelle nombre de petites localités désertées après les fermetures inévitables des hauts fourneaux. La vie de leurs parents qu’ils soient ouvriers ou issus de la bourgeoisie locale est évoquée avec justesse. Le terme de thriller a été employé, celui de fresque également. L’espoir d’une vie meilleure que celle de leurs parents, échappement apporté par le trafic de drogue pour l’un, par l’armée pour un autre, par les études pour l’uneest toujours décu. On sent les personnages enracinés dans cette terre qui est la leur, et qu’ils ne peuvent quitter. Tout au long du roman – long, un peu trop même pour certains d’entre nous, le lecteurressent physiquement la canicule, la moiteur ambiante,l’orage qui va éclater, les désirs tendus à l’extrême pour ces jeunes qui s’éveillent à l’amour et à la sexualité. Les scènes avec la moto pétaradante, comme un fil qui court tout le long du roman, sont là pour nous faire ressentir la désespérance qui baigne ce pays. On sent ces jeunes fragiles, prêts à basculer à tout moment. C’est une photographie fidèle d’une époque avec ses codes, ses évocations d’objets qui permettent de se replonger dans les années 90, de même que les chansons populaires de ces quatre étés sont là en toile de fond. Aucune perspective d’une vie meilleure à l’horizon, même les filles qui ont l’air plus sérieuses et travaillent pendant que les garçons passent de la fumette à la canette de bière, on devine qu’à la fin elles ne vont guère s’en sortir beaucoup mieux.

L’une d’entre nous qui est née dans un pays en « ange » comme tous les protagonistes du roman, s’est reconnue dans les descriptions, elle se souvient que déjà à neuf ans elle avait envie de partir… et d’ailleurs elle n’a jamais éprouvé le besoin d’y retourner en pèlerinage. Elle a souligné l’évocation de la transformation de Heillange en cité ripolinée vouée à devenir une base Mickey selon les vœux du maire, grotesque mais plausible. Un autre lecteur qui a bien connu ces cités lorraines très industrialisées à la fin des années 70 avec le plus gros gisement de fer d’Europe, nous récapitule l’histoire de ces régions et leur lien avec le Nord qui fournissait le charbon pour les hauts fourneaux. Un pays de cocagne pour les premiers immigrants, des Italiens arrivant avec leur famille dans les années 60, comme le Anthony du roman, alors que la deuxième vague est constituée dans les années 70 par des Marocains venus seuls avec un statut très différent expliquant unerivalité tenaceentre ces populations.

Si nous avons quasiment tous loué un style fort, acéré, pétillant, deux lecteurs ont mentionné un réalisme à la Zola (comme exemple à ne pas suivre pour l’un des deux…), tandis que plusieurs autres ont fortement pensé à « Les vivants et les morts » de Gérard Mordillat que nous avions lu en 2005. La construction a également été appréciée avec ses quatre parties même si de la frustration a pu être ressentie de ne pas connaitre la suite immédiate de chacune d’entre elles.Et le titre « Leurs enfants après eux » comme un excellent choix pour illustrer le déterminisme social. Dépression, violence, résignation, désespérance, dureté, pessimisme, vies à cœur et corps perdus, autant de termes employés à propos de cette lecture.L’une d’entre nous a trouvé le ton un peu trop victimaire et les descriptions exagérées. La fin qui tourne en rond a pu décevoir, certains attendant quelque chose de plus frappant, et pourquoi pas un meurtre…

Nicolas Mathieu, né en 1978 à Epinal, donc exactement contemporain d’Anthony, signe là son deuxième livre, qui obtient le Goncourt en 2018. Journaliste de site internet et « plume à tout faire » comme il aime à seprésenter, Nicolas Mathieu démarrera sa carrière d’écrivain en 2014 avec un polar remarqué, « Aux animaux la guerre », déjà qualifié de roman du déclassement.

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