« Les jumeaux de Black Hill » Bruce Chatwin

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Les jumeaux de black hill (Ldp Littérature)

Avec une belle écriture simple, fluide aux descriptifs très évocateurs et imagés, l’auteur développe une fresque paysanne attrayante, pleine de réalité et à la fois hors du temps. Il décrit une famille et balaye tout le 19ème siècle, de la naissance des jumeaux jusqu’à la mort de Lewis, où l’importance de la terre est primordiale et vitale.

          Malgré le manque d’émotions probablement du à une faille de l’auteur ou à une trop grande diversité de personnages gravitant autour, cette peinture historique d’une grande richesse est fort intéressante et a rappelé des souvenirs à certaines (campagne, famille, travail, comportements, altercations). Les évènements traversés au cours de ce siècle interpellent : la guerre de 1914, comment les gens reçoivent les infos, les pour les contre, la folie de la guerre, s’engager ou non, le colonel responsabilisant ou culpabilisant les jeunes recrues ; la modernisation ; l’achat de la ferme ; la mort du père, puis de la mère ; la fin d’un monde et le début d’un autre avec l’arrivée de la mécanisation, de la modernité avec les tracteurs ; Benjamin le terrien et Lewis l’innovateur ; l’arrivée des zeppelins, des voitures, des ailes volantes.

          Ce récit se déroule dans un lieu particulièrement symbolique, puisque situé dans des fermes et notamment celle qu’Amos acquiert, « la vision » ou paradis, à Hereford, à cheval entre le Pays de Galle et l’Angleterre, avec des descriptions de paysages gallois fort suggestives.

           Une composition romanesque où chaque portrait est intéressant avec une grande diversité de caractères, de condition sociale, un paysage complet de la société au fil du temps, avec des histoires de familles, d’héritages, de brouilles entre voisins. A travers cette famille Chatwin fait œuvre d’ethnologue dans les notions de hiérarchie, châtelain et fermier et comment Amos acquiert « la vision ».

          Sur le plan sociologique les 4 protagonistes sont bien campés tout au long de leur vie. Les personnages qu’ils croisent sont haut en couleur particulièrement certains, comme les femmes  qui ont du cran et d’autres sont surfaits ou trop poussés. Les relations avec le voisinage, les foires, les évènements, les liens avec les notables et le châtelain, les coups fourrés, les bagarres, les rivalités et les entraides sont des thèmes récurrents et rendent ce récit très vivant, en fait la vie avec tout ce que l’on peut rencontrer comme difficultés, violence, jalousie mais aussi réception, chaleur, amour. Il sont très attachés à leur terre, à leur culture et l’importance du travail à la ferme prime mais les coupe du monde extérieur.

          Tout est focalisé sur cette famille avec sa façon de vivre à la ferme. Les rôles parentaux campés par Amos et Mary sont bien développés, à la fois complémentaires et opposés, ils sont fiers de leur réussite et n’ont pas le temps de réfléchir sur eux-mêmes, car mènent une vie dure ce qui à l’époque était inscrit comme cela. Amos est un personnage frustre, violent, très travailleur, Mary qui a voyagé est éduquée et instruite, généreuse, aimante, bonne mère et délicate. Ils ont une rencontre originale, s’installent, se jettent dans la vie agricole, rencontrent des difficultés avec la région, le climat, les saisons, les autres habitants et même au sein de la famille avec les parents d’Amos avec  la relation conflictuelle belle-fille-belle-mère. A la fois violent et pacifiste, adorateur de la Bible, Amos hait la guerre et ne veut pas en entendre parler, il veut empêcher ses fils de se battre pour les Anglais. Mary et Benjamin s’occupent des comptes et sont très avares alors que Lewis demande de la mécanisation. L’importance du grand-père Sam qui s’occupe de ses petits-fils.

          La notion de gémellité, ici monozygote, est bien brossée avec ses particularités comme  l’intuition, la télépathie, la souffrance, la jalousie, la dépendance : échanges, identités, sensibilités, dons, espiègleries, jeux liés à la ressemblance (quand l’un se blesse l’autre souffre ; ils font les mêmes fautes à l’école, jouent ensemble sans se préoccuper des autres ; pour éviter la guerre Amos envoie Lewis travailler dans une ferme et Benjamin tombe évanoui puis maigrit ; Lewis sent quand son frère est en danger et il le retrouve dans la neige et le sauve) ; des frères attachants qui vivent en osmose, de vrais jumeaux fusionnels, complémentaires, jamais séparés sauf lors de la guerre de 1914 ; gémellité et souffrance : permet-elle ou empêche-t-elle l’épanouissement de l’individu ? la considération sur les jumeaux a beaucoup changé : ici on les considérait comme une entité pour continuer la ferme, les parents maintiennent un poids sur eux ce qui les enferme, les aliène alors que maintenant ils sont considérés comme des individualités ; malgré tout, les parents les dissocient car Mary a un faible pour Benjamin et Amos pour Lewis, plus viril, celui qui rêve de voyages, de femmes, de modernité, de liberté, d’avions ; alors que Benjamin plus féminin, n’aime pas les filles, le préféré de sa mère, plus sensible, aide les brebis à agneler et veut rester dans le cocon de la maison et agrandir ses possessions. Même s’ils  ont été séparés parfois par la vie, à la mort de leur mère immédiatement ils investissent son lit pour y dormir désormais ensembles.

          La jalousie est un thème récurrent : Amos et son voisin ; les jumeaux : Lewis est jaloux quand Benjamin grandit plus vite et le dépasse ; ils se séparent dans le travail à la ferme mais ils en souffrent et mettent 10 ans à élaborer une division du travail satisfaisante ; quand Lewis enfant dit, quand je serai grand j’épouserai Melle Bickerton, Benjamin éclate en sanglots ; quand Benjamin a une pneumonie, sa mère le soigne et l’éduque devenant plus érudit, Lewis en est jaloux.

          Le thème de l’illusion et des désillusions est en filigrane et notamment celles de la guerre ; Mary est déçue par son mari ; Lewis aurait pu épouser une fille ; beaucoup de femmes se retrouvent seules.             L’omniprésence de la religion avec Amos fasciné par la Bible, l’importance de la valeur travail chez les protestants

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