« My absolute darling » Gabriel Tallent

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my absolute darling

Ce premier roman de Tallent qu’il a mis 8 ans à écrire, a pour thème essentiel l’inceste et la violence, un sujet dérangeant, choquant, pas toujours facile à supporter, car ce n’est pas notre univers, mais qui ne laisse pas indifférent, donc des avis très partagés !

                  Pour les négatifs : monstrueux et brutal, trop long, trop dense, trop de descriptions de la nature parfois redondantes, trop de poncifs, pas d’empathie pour la protagoniste, une overdose de la violence, du viol et de l’inceste, un mauvais western, des invraisemblances. C’est dommage que Busnel, dithyrambique, en ait déjà fait le résumé et bien que ce roman soit puissant, incommodant ce n’est pas un chef d’œuvre comme le pense par exemple Stephen King.

                  Ce livre moderne qui sort de l’ordinaire et qui reflète notre époque fut un grand plaisir de lecture car il ressemble à un western et ceci dès la première page : des gros plans, de l’hémoglobine, des armes, une foule de détails. Il se déroule comme un film, crédible ou non, et peut se voir comme un conte, métaphore de la vraie vie, qui met en scène pour libérer et qui permet de prendre de la distance par rapport au problème de fond et donc d’apprécier. On sait qu’on lit un conte, avec un réalisme exacerbé mais fictif, sans longueurs, sans fioritures, sans nécessité de continuité narrative, avec le risque assumé de l’invraisemblance. Ainsi, on a l’impression d’une succession de scènes parfaitement décrites, où le suspens se recréé à chaque fois. Un récit jubilatoire, qui décrit le pire sans nous faire mal, flirte avec l’extravagant et fait réfléchir infiniment.

                  Cet ouvrage qui interpelle par sa densité, sa violence physique et psychologique d’un grand réalisme  montre l’emprise du père sur Turtle, la culpabilité de Turtle, toute la complexité bien analysée de l’inceste. En toile de fond, une violence ancienne ressentie par Martin qui estime ne pas avoir été aimé par son père et le jalouse probablement de sa relation avec Turtle. La jalousie et l’amour possession du père pour sa fille s’exacerbent créant un suspens et une forte tension. L’utilisation et la violence des armes sont omniprésentes : dès le lever Turtle s’habille et les armes font partie de l’habillement.

                  Le thème de l’ambiguïté humaine est rémanent avec complicité, haine et amour père/fille : un père violent et aimant, au langage vulgaire et ordurier, avec une étonnante culture littéraire et philosophique qu’il essaie de transmettre, il lit Proust et Marc Aurèle. Les armes font partie du principe éducatif du père qui, par ailleurs, apprend à Turtle des principes de survie dans la nature qui lui serviront. Il l’accompagne au bus scolaire, surveille son travail scolaire. Des scènes très fortes décrivent le sadisme et la perversité de Martin (le couteau entre les cuisses de Turtle). Turtle semble être une élève peu douée, au langage vulgaire et en fait elle est très pratique et réfléchie. Malgré le déchirement dans lequel elle se trouve, sous emprise et par besoin d’amour, elle est coincée par sa culpabilité (« il t’a violée et tu en as redemandé »,« je subis le viol de mon père mais je suis coupable parce que j’y consens ») et par sa peur des services sociaux si elle avoue. Mais l’amour et la fascination pour son père sont trop forts. L’auteur met en scène des langages plein d’injures et des actes horribles avec des pensées ou des situations intelligentes utilisées par les 2 protagonistes pour montrer leurs propres contradictions, d’où conflit intérieur.

                  Un autre thème fort se dégage également, celui de l’incommunicabilité : le père avec son langage grossier et ses réflexions ; Turtle avec des pensées cogitées et un langage superficiel ; pas ou peu de communication verbale ; entre le grand-père et son fils, incompréhension ; difficultés entre Anna et Turtle, entre Caroline et Martin. Seuls les ados semblent échanger.

                  Les éléments clé qui vont déclencher le revirement de Turtle, son ouverture vers le monde et lui donner plus d’humanité, « elle n’est pas que cette chose que l’on prend et rejette » : l’arrivée de ses règles ; la peur d’être enceinte ; l’envie d’avoir une robe et d’aller à la fête de fin d’année, de retrouver Jacob ; la mort brutale du grand-père ; le départ du père ; la destruction et le saccage du lit et de la bibliothèque ; le retour du père et l’arrivée de Cayenne qu’elle va protéger.

                  D’autres sujets évoqués : la complexité des USA et de l’Amérique profonde très loin de l’Amérique Glamour que l’on voit souvent sur les écrans, avec les Démocrates, écolo, fortunés, et les Républicains, trumpistes, incultes ; le bio ; l’écologie et le survivalisme évoquant ces individus et ces groupes de collapsologues qui se préparent aux grands effondrements de notre société ; un réquisitoire contre les armes à feu ; un roman typique de l’école de la littérature américaine. La fin du roman avec la métaphore du jardin et les racines du chiendent, celles de son passé : Turtle va-t-elle s’en sortir ?

                  Une construction répétitive avec des éléments récurrents comme le lever, le petit déjeuner et l’accompagnement au bus, crée une ambiance suggestive du viol qui probablement aura lieu au retour de Turtle. Le style est intéressant, parfaitement épuré, sans pathos, mais avec des excès, des exagérations comme au théâtre et dans la BD. On se trouve parfois plongé dans un film de Tarentino. Cette accumulation de descriptifs, de phrases courtes, de vocabulaire crée une tension donnant de la puissance et de l’ampleur au roman.

                  Beaucoup de scènes à couper le souffle, décrites avec force et précision : l’AVC de Papy ; la chienne morte éviscérée par les corbeaux ; Turtle suspendue à la poutre et le couteau ;  l’essence et le gaz sur le mobil-home ; la pêche aux anguilles ; le tsunami ; Jacob et Turtle sur l’île en situation dramatique ; la pièce de monnaie tenue par Cayenne et l’arme ; l’amputation.

                  Ce roman dramatique dont le sujet central, l’inceste, est très bien traité d’un point de vue psychologique. Turtle, l’héroïne très tourmentée, empêtrée dans l’ambivalence de ses sentiments et sa morale, où le conflit de loyauté domine envers son père abusif. A l’âge adulte défini par l’arrivée de ses règles, Turtle reconnaît sa responsabilité dans cette relation incestueuse. Le père aussi en souffrance d’origine lointaine entretient un amour indéfectible et malsain envers sa fille. Intelligent, il sait la dangerosité et l’immoralité de cette relation. La totalité du livre est empli de violence tant entre êtres humains qu’avec la nature. Turtle n’a que seuls compagnons son fusil et son couteau dont elle connaît parfaitement le maniement. Les rencontres saines avec Jacob, son ami, et sa professeur, Anna, déclencheront une prise de conscience de la relation pathologique entretenue avec son père. Par eux et avec eux elle trouvera le bien de l’humain. Enfin sur fond d’innommable et d’effroyable, l’histoire se termine bien avec cette volonté de Turtle à vouloir faire le bien ; elle sauvera la petite Cayenne et elle-même de cette emprise. C’est un livre bien écrit, aux descriptions fines, acides et âpres de la nature et des protagonistes. C’est aussi un roman bien mené car lecteurs, nous voulons connaître la destinée de la victime qui est attachante, courageuse et forte dans ce monde familial si violent. De cette violence répétée, aux détails et descriptions qui nous heurtent et nous envahissent d’effroi, on voudrait parfois arrêter la lecture. On se révolte et on continue. Très bon roman inoubliable qui me fera encore frissonner d’effroi en souvenir.

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