« Jeu blanc » Richard Wagamese

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Jeu blanc

Nous étions donc douze présents sans compter deux absents qui ont pu nous transmettre leur avis.
Nous avons apprécié à l’unanimité ce livre, avec un seul avis partiellement dissonant. Les qualificatifs « émouvant », « bouleversant » reviennent dans la bouche de beaucoup d’entre nous. Plusieurs points ont été repris par nombre de lecteurs :
Tout d’abord la construction remarquable du récit, et le style d’écriture (et la traduction !) impeccable. La construction du récit peut se comprendre comme partie d’une thérapie. On n’a pas envie de lâcher ce livre.


Ensuite la puissance du récit : c’est l’histoire – à forte résonance autobiographique, d’un petit Indien (Indian Horse, qui donne son nom au titre original du livre) de la tribu Ojibwé du nord ouest de l’Ontario au Canada (troisième groupe d’Amérindiens le plus important derrière les Cherokees et les Navajos). Certains comme Jean Pierre ont retrouvé leur passion datant de l’enfance pour tout ce qui touchait aux Indiens d’Amérique, nord, centre et sud. Une poésie de tous les instants imprègne la première partie du récit, celle qui relate ses premières années avec sa famille puis sa fuite avec sa grand’mère qui va le protéger jusqu’à en mourir. Les descriptions de la nature, de la forêt et des cours d’eau en particulier, sont magnifiques. La seconde partie dans le pensionnat religieux (catholique) si choquante soit-elle avec les sévices corporels allant jusqu’aux tortures, l’asservissement, la négation de l’indianité, les suicides répétés ne nous a malheureusement pas surpris, tant nous avons tous eu l’occasion de lire, d’entendre à la radio ou de voir au cinéma des descriptions d’actes semblables, que ce soit concernant les jeunes filles-mères en Irlande, ou sur un terrain plus proche de nous, l’affaire dite des enfants réunionnais de la Creuse. Il s’agissait de plus de 2000 enfants arrachés à leurs familles, sous l’autorité de Michel Debré, alors député de l’île, pour repeupler les départements désertifiés de métropole entre 1962 et 1984. Joel fait remarquer que le 25 septembre dernier Justin Trudeau s’est excusé publiquement, au nom de l’état fédéral, auprès d’anciens élèves amérindiens de pensionnats catholiques et de représentants des peuples dits autochtones ou premiers à l’occasion du rapport final de la commission d’investigation sur la politique d’assimilation forcée des Premières Nations, véritable « génocide culturel ». L’ethnologue Robert Jaulin parlerait plutôt d’un ethnocide. On estime à l’heure actuelle que quelques 150 000 enfants autochtones ont été soustraits à leur communauté. Les centaines de tombes anonymes encore retrouvées en juillet dernier en Colombie britannique nous ont rappelé l’actualité de ce récit écrit en 2012.


Le petit Indien, qui possède une volonté admirable, trouve pourtant sa planche de salut et sa raison de vivre au milieu de l’enfer du pensionnat en s’investissant totalement dans la pratique du hockey sur glace. On suit ses entrainements matinaux en cachette accompagnés et encouragés par un Père qui le prend en affection. A partir du moment où il est confié à cette famille ojibwé qui l’aime comme un fils, il va gravir tous les échelons des compétitions et être vite confronté à l’extrême violence du système racialiste mis en place par les colonisateurs. Impossible pour les autres d’admettre qu’il est plus doué que ses partenaires de jeu. Blanche est la glace, blanc est le jeu, et contrairement aux poncifs admis le sport n’est pas un ascenseur social, loin s’en faut. Il ne trouve aucune fraternité, et est acculé à rendre les violences qu’il subit alors qu’il s’était juré de refuser toute frontalité. Ce récit se déroule dans les années 60/70, il paraitrait que cela ait changé depuis. A ce stade du récit, les descriptions de ses représentations mentales clairvoyantes nécessaires avant son entrée dans le jeu ont été appréciées, alors que celles très techniques d’un sport mal connu du Cercle sont apparues un peu longues pour certains, nécessaires pour d’autres.
La partie relatant sa déchéance et son auto destruction avec l’emprise de l’alcool dont il ne se défera qu’à grand’peine nous a touchés. La presque fin du livre – que je ne déflorerai pas, mais qui nous a tous pris par surprise, permet de comprendre tout le début, la boucle est bouclée. La découverte ou re découverte de ses blessures secrètes trouve bien sa place à la fin du récit. Certains ont employé le terme « happy end » qui nous a soulagés de la pénibilité des passages précédents où le héros ne peut que fuir tout cadre affectif stable et s’abîmer dans l’alcool.
Grand merci à Lucie pour son obstination à nous faire découvrir ce roman saisissant.

La biographie de Richard Wagamese (1955-2017) est disponible sur le site

https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/richard-wagamese


Il a lui-même été arraché à sa famille à l’âge de trois ans suite à un terrible drame et placé dans diverses familles d’accueil et des pensionnats religieux. Cette période traumatisante, ainsi que sa descente dans l’alcool et la drogue, ses nombreux petits boulots et ses passages en prison vont constituer la trame de ses récits et romans, qu’il va pouvoir écrire passé l’âge de quarante ans, et pour lesquels il a obtenu de prestigieuses récompenses et une reconnaissance internationale. C’est sa soif de lecture quand il était tout jeune qui l’a poussé à écrire.
Joseph Boyden dont nous avions tous beaucoup aimé « Le chemin des âmes » en 2017 a dit de Richard Wagamese que c’était un « trésor national ».

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