« Persuasion » Jane Austen

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La réunion était très joyeuse mais « Persuasion » n’a pas suscité un enthousiasme général, loin s’en faut. Après lecture de la présentation (en fin de ce compte-rendu), la discussion peut être résumée par les remarques suivantes.

Plusieurs personnes n’ont pas fini le livre, pour des raisons diverses. Il a été considéré comme long et assez difficile à lire avec un grand nombre de personnages qu’on a du mal à mémoriser. Ennuyeux également car il ne s’y passe rien, il n’y a pas d’intrigue. Souvent l’humour n’a pas été perçu, mais plutôt la satire et parfois un ton sarcastique amenant à une comparaison avec Downton Abbey.

Certains, ayant lu les romans le plus connus, Orgueil et Préjugés notamment, ont été déçus, ne retrouvant pas ce qu’ils avaient aimé.

D’autres l’ont trouvé intéressant, notamment du point de vue sociologique comme illustrant la vie d’une société oisive, le déclin de l’aristocratie, son angoisse du déclassement face à une bourgeoisie qui s’enrichit ( et qui en reprendra les codes à son compte). Plusieurs ont trouvé plaisir à le lire, appréciant la lenteur et la poésie du texte.  L’art du dialogue a aussi été souligné.  L’intrigue sentimentale n’a pas beaucoup intéressé et a même  paru presque « roman de gare ». Le personnage d’Anne a été aussi considérée comme l’image d’une femme de son temps décidée à s’extraire de la dépendance où elle se trouve. Sa fermeté plusieurs fois rappelée, face à la détermination adolescente de Luisa.  

Il est probable que les diverses traductions ont posé problème, illustré par la lecture comparée de plusieurs versions de la dernière phrase du livre. Un sondage incomplet ne révèle cependant que cinq traducteurs, Letorsay (hélas !), Belamich, Goubert, Pichardie et Cotté.

Présentation par Nicole G. qui avait proposé le livre

  J’ai proposé ce livre parce que j’aime beaucoup Jane Austen et ce dernier roman en particulier.

Jane Austen (1775- 1817) était fille de pasteur. Elle avait six frères et une sœur qui, comme elle, ne se mariera pas. Son milieu familial est joyeux, intellectuel et libéral, elle avait accès à toute la bibliothèque de son père. Elle a appris le français en pension (1 ou 2 ans seulement). Ce n’est qu’en 1811, -6 ans avant de mourir qu’elle gagnera de l’argent avec ses romans et ne sera plus dans la complète dépendance financière de ses frères après la mort de leur père. Persuasion est son dernier roman achevé et a été publié après sa mort prématurée à 41 ans. Elle avait commencé un autre roman, Sanditon, très différent selon le peu qu’on en a.

On a dit qu’elle dépeignait un monde minuscule mais d’un pinceau extrêmement fin et précis. Je trouve que ce monde minuscule en dit long sur la société anglaise au début du 19ème siècle.

Elle décrit donc un monde provincial, campagnard, avec quelques passages à Londres où certains personnages vont passer la saison et surtout des parties à Bath, ville thermale où elle a vécu et qu’elle détestait. Son point de vue est le plus souvent satirique et c’est une grossière erreur de la prendre pour un écrivain romantique. Les adaptations récentes de ses romans au cinéma tombent souvent dans cette erreur. Certes la question centrale est celle du mariage, mais le mariage à cette époque et dans ce milieu est une chose arrangée qui fait passer la femme de la tutelle paternelle ou fraternelle à celle du mari.  Jane Austen ne s’est pas mariée bien qu’elle aie accepté une demande pour se rétracter le lendemain. Elle dépeint donc un univers corseté, très hiérarchisé où pouvoir vivre en accord avec ses sentiments est affaire de chance. Ses héroïnes ont du caractère, Elisabeth Bennet est fière, Emma croit pouvoir tout manipuler. L’héroïne de Persuasion a une force de caractère cachée, elle a fait une erreur en se laissant persuader par la seule personne aimante de son entourage, Lady Russel, et accepte de la payer d’une vie pas spécialement agréable, au service de la famille et soumise à de multiples contraintes. Elle est soumise matériellement mais pas au fond d’elle-même.

Persuasion est  mon préféré parce que c’est un roman délicat, subtil, plein d’humour. Les personnages sont plus nuancés que dans les romans précédents et les situations aussi.

C’est la première fois que des élément extérieurs, les marins, sont intégrés à l’histoire. Deux des frères de Jane ont fait carrière dans la marine, au moins l’un est devenu amiral, et on sent son préjugé dans l’éloge excessif qu’elle en fait. Mais elle connaît ce milieu et peut donc l’introduire dans son roman.

Anne est la seule personne raisonnable de sa famille. L’histoire du retour de son ancien fiancé est traitée entièrement de façon subjective puisqu’autour d’elle, soit on n’est pas au courant, soit on n’y prête aucune attention. On a donc en fond, la vie d’un petit monde à la campagne, avec promenades, visites au voisinage, chasse, puis dans la ville d’eau, Bath, avec sa vie culturelle, concert, théâtre, et surtout sa vie mondaine.  Pour la famille, l’histoire, c’est le départ du Baronnet pour la ville, l’arrivée des marins, le retour surprise de l’héritier et enfin les futurs mariages des filles Musgrove. On voit aussi le début d’une sorte de tourisme avec l’excursion à Lyme.  Anne est toujours là, au service, cachant ses émotions, essayant de trouver sa place dans sa famille qui ne lui accorde aucune importance et de se donner un peu de liberté malgré le carcan des convenances.

Tout au long du roman, on suit les événements contés par un narrateur qui ne serait omniscient que pour la vie intérieure de l’héroïne, celle des autres personnages demeurant opaques. Le lecteur doit donc s’identifier à Anne.  Je crois que l’appréciation qu’on porte sur le livre résulte de la plus ou moins grande convergence de caractère avec elle.

Les personnages sont souvent caractérisés par les dialogues. Le baronnet fait des déclarations ridicules soulignant son obsession de l’apparence. Mr Shepard et sa fille Mme Clay sont des flatteurs, Mary est hypocondriaque et constamment offensée. Les parents Musgrove sont de braves gens, leurs deux filles des adolescentes enamourées. Les marins semblent être les personnages les plus pratiques à l’exception du presque veuf  qui se complait dans la poésie, un peu trop au gout d’Anne.

L’héritier apparait comme une menace et un mystère, puis il semble devenir un personnage positif jusqu’à ce que son véritable caractère soit révélé par une opportune ancienne relation de pension d’Anne.

L’humour est partout, même dans la description des événements sentimentaux où il marque une distance évitant de tomber dans les excès des romans de l’époque. Ainsi intervient-il même dans l’évocation du premier amour d’Anne, événement pourtant fondateur de l’intrigue :  «  la moitié de ces charmes eût sans doute suffi de part et d’autre car il n’avait rien à faire et elle n’avait pas grand monde à aimer. »   Sept ans plus tard, ces fiançailles interrompues sont traitées de « triste et émouvante petite histoire ».

Si l’un d’entre vous a envie de voir une adaptation de ce roman, il y en a deux produites par la BBC, une excellente de 1995 qu’on peut trouver en VO sur Youtube et une très mauvaise de 2007 souvent proposée en version doublée en DVD. Dans cette dernière il y a deux énormités : faire courir l’héroïne à travers la ville de Bath seule et déplacer un dialogue capital de la fin de l’histoire au début en changeant également l’interlocuteur, le reste est à l’avenant, ridicule.

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