« Comme les bêtes » Violaine Bérot

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Tous les participants ont fort apprécié « Comme des bêtes » , court, original et magnifique qui nous a interpellés par sa construction ainsi que par les thèmes traités, majeurs ou non.

           La construction très particulière lui donne une forme vivante et dynamique car chaque chapitre démarre après un poème sur les fées qui indique le thème du chapitre et chaque chapitre qui suit correspond à un personnage côtoyant de près ou de loin « l’ours », et chaque personnage parle normalement sans fioriture, selon son ressenti, sa vision de la situation, un langage vrai aux tons variables où percent les émotions, les ressentis, la colère, apportant ainsi des éléments de compréhension, d’éclaircissement sur cette histoire où la tension devient crescendo. Ce lien entre poèmes et chapitres apporte des touches de douceur, un aspect philosophique, de la profondeur, de la véracité, de l’irréalité pour vraisemblablement compenser le réel des scènes très dures comme celle du viol de la pharmacienne, probablement scène vécue par l’auteur (Violaine!), scène qui semble être décalée pour certains et pour d’autres un élément explicatif quant à l’abandon d’un enfant après un viol et un parallèle avec l’acharnement et l’amour d’une mère pour un enfant handicapé ! Cette configuration de chapitres assez courts mais proportionnés, où chaque protagoniste joue un rôle, séparés par les poèmes des fées, rend ce livre théâtral et dramatique comme un chœur antique où chacun, venant sur scène en monologue, répond ainsi aux questions des gendarmes.   

           Ce conte métaphorique,à la fois réaliste et irréaliste, est une bonne analyse de la société et de l’individu en dénonçant différentes situations et aberrations de la société, comme des comportements particuliers des individus. Un livre de contrastes entre gens et bêtes, humain et inhumain, communication et incommunicabilité, vie naturelle et artificielle,  croyance et superstition, ignorance et ressenti, gens d’en haut et gens d’en bas, campagne et ville, compréhension et incompréhension (institutrice, gendarmes), réel et irréel, normes et hors normes, système et hors système. Le parti pris contre les institutions, scolaire, centre pour handicapés, gendarmerie, est manifeste et heureusement que nous en avons même si elles ont des failles !

           Avec des personnages plutôt bienveillants, l’auteur a su toucher le lecteur et créer de l’empathie pour son protagoniste essentiel, car chaque chapitre fait témoigner sur cette affaire et en même temps développe un élément de réflexion :

-L’institutrice parfois maladroite, non soutenue, a fait ce qu’elle a pu avec cet enfant autiste et hors normes pour l’intégrer dans l’institution et aussi pour le protéger des autres enfants moqueurs et méchants, comment faire avec les enfants à problème quand les moyens ne sont pas là !.

-Le malheur d’être différent, ici géant et apparemment autiste, enfant malheureux à l’école raconté par un élève du même âge : l’acceptation de la différence «plus j’y pense plus je me dis que le plus bête dans cette classe n’était peut être pas celui qu’on croyait, qu’il ait réussi malgré la lourdeur de son handicap à se construire une famille, je trouve ça formidable».

-la peur de l’autre chez celui qui a vendu la grange à Mariette et sa peur de la grotte et des fées.

-le premier voisin avec qui Mariette descendait en voiture au marché qui l’appréciait, raconte son histoire, lui placé dans un foyer : pourquoi se mêler de la vie des autres ? Pose la question de la curiosité, de l’intrusion.

-Albert, le cultivateur et ses vaches, son don, le propriétaire du taureau soigné par Albert/l’ours. L’acceptation de la différence, le pouvoir, l’humanité, le ressenti chez les handicapés. Albert dit : «Mariette et son fils c’est pas des sauvages c’est même des gens très bien, oui il vient jusque chez moi. Il siffle pour me prévenir qu’il arrive. Parler il y arrive pas mais siffler oui, je lui cause normalement je ne sais pas pourquoi les gens s’imaginent qu’il est idiot».

-Les hippies qui veulent intégrer Mariette, son refus : protection de son fils. -le couple qui a acheté une bergerie, qui aime la nature, la faune sauvage, passionné d’éthologie, ont vu la fillette et l’âne et l’homme, ne se posent pas de questions et disent même que l’Ours qui se sent attaquer peut tuer, avertissement d’un comportement normal. La peur.

-Luc le joggeur, le seul en relation vraie avec la fillette et l’ours : le respect.

-les fées entendent les voix discordantes, dissonantes, de normaux anormalement normés : le facteur  et les rumeurs, vallée/montagne.

-la pharmacienne et son viol : l’abandon d’un bébé après un viol où certaines mères ne veulent pas de l’enfant. Une mère est capable de tout de se battre ou d’abandonner.

           Mariette a offert à son fils une vie de liberté et non d’enfermement. Aussi quand il est arrêté elle le défend bec et ongles, d’abord contre l’institution dans laquelle il serait mort si elle l’avait laissé, contre le voisinage en s’isolant en montagne, pour préserver cette vie d’autonomie et de solitaire où l’ours trouve son bonheur en soignant les animaux puis en élevant une petite fille ; un chapitre extraordinaire où avec beaucoup d’acharnement, de réalisme, de souffrance et de colère la mère défend son fils : il a besoin de moi, elle l’a protégé toute sa vie de l’enfermement car l’enfermer c’est le rendre fou : s’intéresser aux gens différents et non les marginaliser ; « bien sûr que ce qu’il a fait, s’occuper d’un enfant inconnu sans signaler sa présence, est un délit ; mais aujourd’hui qu’est-ce qui est le plus important ?: il ne l’a pas volée, il a fait ce que son instinct protecteur et son cœur lui disait de faire, il en a pris soin à sa façon, cela lui a donné un but »

           Ceux qui semblent plus humains et qui n’évoquent pas les institutions sont présentés avec des prénoms, alors que ceux qui évoquent le système n’ont pas de prénom (institutrice, gendarmes, facteur). Parallèle entre rationalité (chez l’institutrice, les flics : qui est le père du garçon, de la fillette ? Qui est la mère ? Quel est le problème du garçon ?) et irrationalité (« leur vie a toujours été un mystère, on n’y a jamais rien compris ; quand le garçon pose sa main sur la tête de la vache Albert se dit « mais qu’est-ce qu’il fout ce con »). Analogie entre cœur et loi : un demeuré, handicapé, différent des autres qui ici n’écoute que son cœur, son ressenti ; alors que les flics n’écoutent que la loi, se retranchent derrière, tout cela pour arriver à un résultat terrible : pourquoi n’écoutent-ils pas la mère, ne lui font pas confiance ? Parce qu’elle les décrédibiliserait, ils perdraient de leur pouvoir, leur autorité.

le ressenti de Temple Grandin née 1947 à Boston,  professeure de zootechnie et de sciences animales à l’université du Colorado, docteure et spécialiste de renommée internationale. Elle monte en 1980 une entreprise d’ingénierie et de conseils sur les conditions d’élevage des animaux de rente, qui fait d’elle une experte en conception d’équipements pour le bétail. En 2012, près de la moitié des abattoirs à bovins d’Amérique du Nord sont équipés du matériel qu’elle a conçu ; depuis les années 1980 jusqu’en 2016, elle a collaboré à environ 200 articles de recherche. Diagnostiquée avec des « dommages cérébraux » à l’âge de 2 ans, n’a pas parlé avant 3 ans 1/2, une intervention précoce lui a permis de progresser et de suivre sa scolarité jusqu’en doctorat, puis de vivre de son métier. Elle est également connue pour être la première personne autiste à avoir témoigné de son expérience de vie dans des autobiographies, Ma vie d’autiste 1986 et Penser en images 1995. Elle fait régulièrement appel à des techniques de scanographie, qui ont révélé le fonctionnement et la structure particulière de son cerveau spécialisé dans la pensée visuelle, une recherche publiée dans l’ouvrage « Dans le cerveau des autistes » en 2013. Elle s’implique pour la défense du bien-être animal, plaidant pour une meilleure prise en compte de la souffrance animale pendant l’élevage et l’abattage, s’opposant en particulier à l’élevage en batterie. Elle milite pour les droits des personnes autistes et souhaite la reconnaissance de l’autisme en tant que handicap, plutôt que maladie mentale. Dans L’Interprète des animaux, elle rapproche la perception animale de celle des autistes, notamment en termes de sensibilité à l’environnement. En se basant sur son expérience personnelle et l’observation des bovins, elle invente la machine à câlin, un appareil destiné à calmer les personnes hypersensibles. Devenue très médiatique, elle est une des personnes autistes les plus célèbres au monde. Oliver Sacks a contribué à la faire connaître grâce à son ouvrage Un anthropologue sur Mars, reprenant une phrase qu’elle avait utilisée pour décrire sa sensation de décalage en tant qu’autiste vivant parmi des personnes non autistes. Elle a popularisé l’expression Different, not less! (« Différent(e), pas inférieur(e) ! ») pour souligner les qualités des autistes. Claire Danes l’incarne dans un téléfilm semi-biographique en 2010. Elle a été récompensée de très nombreuses fois pour son double investissement en faveur des animaux et de la connaissance de l’autisme, lui valant d’être qualifiée de « voix des sans-voix »

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