« Comédies françaises » Eric Reinhart

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J’ai mis un certain temps à écrire les commentaires qui suivent car tous les romans d’Eric Reinhardt doivent se digérer.

D’ailleurs est-ce un roman, une auto fiction, une enquête journalistique, un livre sur l’art (théâtre, cinéma, chant), un récit intime, une analyse sociétale ? Un peu tout à la fois. Eric Reinhardt mélange fiction et réalité sans qu’on ne voit la frontière, il s’inspire de personnages réels et de sa propre vie, passe d’une gamme à une autre,d’une histoire à une autre, change de style et c’est au lecteur à s’adapter, à recoller les morceaux. Ici dans Comédies françaises, titre inspiré de son attrait pour le théâtre ?, il s’attarde souvent sur son narrateur (son double ?) qui s’auto flagelle, fantasme sur une jeune femme idéalisée qu’il prétend croiser en maints endroits, gémit sur son sort dans de longues envolées si bien que j’aurais bien proposé le sous-titre de « Mémoires d’un jeune homme dérangé » clin d’œil à Simone de Beauvoir.

Parlons de Dimitri, il a 27 ans au moment, 27 ans un âge iconique pour mourir bien que non musicien, et la ½ de l’âge réel de l’auteur. Issu de la classe moyenne, élevé dans un milieu politisé à gauche, il pourrait grâce à ses résultats scolaires envisager de belles études et « faire carrière » mais il stoppe tout, se lance dans le théâtre bifurque, au hasard d’une rencontre totalement imprévisible, il est engagé dans un cabinet de lobbying. Une occasion pour l’auteur de s’indigner, d’en dénoncer les pratiques et de se lancer dans les errances de son narrateur avec quelques longueurs et surtout beaucoup de répétitions. Dimitri signe un CDI avec l’AFP, se lance dans une enquête historico scientifique qui permet à l’auteur de se montrer cette fois pédagogue et nous dérouler les balbutiements de l’informatique ou plutôt de la jonction entre informatique et télécommunications dans les années 70, soit la naissance des réseaux et ce qui deviendra Internet.

La partie Internet n’occupe que quelques chapitres dans ce roman mais apparait comme le sujet central. Que dire sur ce développement qui à mon avis a dû décourager maints lecteurs non avertis. Ce ne fut pas mon cas, au contraire car j’ai pu revivre toute cette période que j’ai bien connue puisque je fus élève de Louis Pouzin à Jussieu. Je me souviens très bien de ce professeur qui à l’époque était Directeur chez Simca, il nous faisait cours en soirée, il était très apprécié, drôle, il lisait son texte sur des cartes perforées et personne n’aurait manqué ses cours. Le portrait qu’en fait l’auteur est plutôt ressemblant à ce que j’ai pu percevoir du personnage. Les explications techniques sont également correctes, en revanche prétendre que Louis Pouzin est l’inventeur d’Internet et que l’Inria lui a coupé les subventions pour son projet me paraissent une conclusion un peu hâtive et excessive. Certes il est indéniable que Louis Pouzin a contribué largement à faire avancer les recherches sur les réseaux, il est sans aucun doute à l’origine du X25 français, et vouloir le sortir de l’anonymat est une noble cause. Mais pour le reste, je ne suis pas sûre que la France ait pu tirer bénéfice d’une avancée technique et applicative (plus que technologique) car comment comparer les investissements nord-américains avec les moyens financiers français. Dans la dernière partie du livre, Eric Reinhardt fait un portrait croquignolesque d’Ambroise Roux, bien mérité et une critique acerbe du milieu politique en général et de Giscard en particulier. Ce dernier avait une image de jeune, ouvert aux innovations, en rupture avec la « vieille politique à la française et en réalité i est apparu très conservateur, et il a cédé « aux vieux capitaines d’industrie » campés sur leurs acquis et leurs propres affaires n’ayant pas une once de vision pour la France , l’Europe. Rappelons qu’ils ont fait capoter le plan Calcul et les ambitions visionnaires de De Gaulle. Les relations avec l’Allemagne ont été très affectés et il ne fut plus jamais question de s’associer avec eux pour avoir un calculateur européen (j’en sais quelque chose pour avoir travaillé chez le dernier constructeur de PC français qui aurait pu survivre avec eune aliance européenne mais c’est autre sujet.

Je conclurai mon commentaire en posant la question : Eric Reinhardt aurait-il besoin de reconnaissance pour aligner autant de sujets (artistiques, techniques) sur lesquels il s’est indéniablement documenté et qui l’ont conduit à faire une analyse fort juste de la société française des années 70.


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