« Le bal des folles » Victoria Mas

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Même si ce livre, très facile à lire et d’une jolie écriture, a été trouvé simpliste avec des éléments téléphonés et des clichés, il fut malgré tout très captivant et a fortement enrichi notre discussion passionnée avec des renvois personnels et de nombreux thèmes, forts ou légers, ont été abordés. Un livre salutaire et instructif qui sort de l’ordinaire par son côté décalé et surnaturel avec un mélange de réalité et de fantastique où le thème essentiel est la folie : qu’est-ce que la folie ? jusqu’où peut-elle aller ? qu’elles en sont les causes ?  personne n’en est à l’abri !

      L’écrivaine a su conduire son récit, a donné l’envie d’aller jusqu’au bout et ce roman (prix Renaudot des lycéens en 2019) a été lu par beaucoup de jeunes qui ont été touchés probablement par le thème de l’injustice qui frappe ces femmes (un film en a été tiré par Mélanie Laurent en 2021, ainsi qu’une BD en 2019). Un roman d’ambiance bien mené avec des descriptifs intéressants sur l’époque, 1885, dans les rues de Paris, sur des milieux et des gens différents avec un tableau réaliste du monde bourgeois et familial où la femme a très peu de place. Et ces femmes sont prises pour des cobayes, sous-estimées, méprisées jusque dans le milieu médical, à l’intérieur de l’hôpital de la Salpêtrière. Une réflexion sur la condition féminine accompagnée de vérités de l’époque.

      Dans ce monde médical, c’est le début de l’étude des maladies neurologiques par la sommité Jean-Martin Charcot qui dirige le service des « hystériques », et à cette époque toutes les femmes qui présentent des troubles sont folles et internées (hystériques, mythomanes, crises de folie, tentatives de suicide, visions, hallucinations, convulsions, troubles neurologiques, paralysie, épilepsie, schizophrénie, excentricités, libres, etc) quelles qu’en soient les causes ! L’hypnose était utilisée comme traitement avec beaucoup d’erreurs ! Mais ce service a le mérite de s’occuper de ces problèmes et va ouvrir la voie à la neurologie et la psychiatrie. Charcot (1825-1893) donne des cours à la Salpêtrière avec un cours magistral le vendredi avec la cohorte d’étudiants et de curieux qui assiste, comme à un spectacle, avec une forme de voyeurisme, à ces séances où Charcot utilise l’hypnose qui recrée les crises lui permettant d’étudier les symptômes et applique d’autres techniques particulières sur ces femmes cobayes (compression ovarienne, électrothérapie, hydrothérapie, bains sulfureux ou électrostatiques …). Il travaille sur la sclérose en plaque (atteinte de la gaine de myéline, gaine qui protège les nerfs et empêche la dispersion de l’influx nerveux) et la maladie de Parkinson et découvre la sclérose latérale amyotrophique.

      Ces femmes sont triplement victimes : souvent elles ont subi des traumatismes, viol, inceste, maltraitance physique ou psychologique ; de plus elles sont internées de façon arbitraire, décidée par père, frère ou mari ; elles adhèrent au essais thérapeutiques car elles admirent Charcot qui représente le savoir et le pouvoir, l’aura médicale, le carabin ! Une pensée pour Camille Claudel !

      Trois portraits puissants de femmes de milieux différents :

-Louise fille du peuple, violée par son oncle et non défendue par sa tante qui l’a fait enfermer ! Puis elle s’amourache d’un interne qui lui fait miroiter le mariage et finira par la violer !

-Geneviève, fille de médecin, idolâtre deux hommes, son père et Charcot. Elle va évoluer et de rigide va devenir humaine grâce à Eugénie, élément catalyseur ; elle n’a pas protégé Louise et pour se dédouaner de cette culpabilité elle aide Eugénie à s’évader ; elle devient libre en décidant de rester avec les internés !

-Eugénie, fille de notaire, de milieu bourgeois qu’elle dérange par ses visions, sera enfermée par un père despote et libérée grâce à son intelligence (après avoir été mise au cachot, elle sait faire profil bas, s’adapter, observer et amadouer Geneviève), à la culpabilité de son frère et à la prise de conscience de Geneviève sur les gens et les choses qui ne sont pas aussi binaires qu’ils le paraissent. Geneviève découvre que le doute est meilleur que les certitudes qui enferment, matérialisées par la suprématie des médecins. Un hymne à la liberté !

      Des éléments intéressants : la trahison de la grand-mère ; le parc et la neige qui contrastent avec l’austérité de ce service et la vétusté des locaux avec manque d’intimité et d’hygiène pour ces femmes ; copinage et entraide des femmes, Thérèse et ses châles ; manque d’humanité ; beaucoup de combats pour obtenir quelques progrès médicaux ; machisme, puissance masculine et charisme de Charcot  ; paradoxe de la folie : voyeurisme et peur ; croyances, foi, visions, hallucinations, intuition, états de conscience modifiés ; l’aphasie s’associe à une paralysie du côté droit, donc Louise ne peut parler lors de sa paralysie ; les excès de l’hypnose et de l’utilisation de l’éther ; les visions de Bernadette sont reconnues (église) et pas celles d’Eugénie ! « la salle de bal » de Anne Hope.

      Historique : La revue Spirite ou journal d’études psychologiques a été fondée par Allan Kardec (1804-1869) en 1858, au 8 rue des Martyrs à Paris, revue trimestrielle, traduite en 7 langues (« L’homme n’est pas seulement composé de matière, il y a en lui un principe pensant relié au corps physique qu’il quitte, comme on quitte un vêtement usagé, lorsque son incarnation présente est achevée. Une fois désincarnés, les morts peuvent communiquer avec les vivants, soit directement, soit par l’intermédiaire de médiums de manière visible ou invisible (Le Livre des Esprits) » )

-En 1669 la Salpêtrière fut le premier et le plus grand des établissements de l’hôpital général de Paris,  institution voulue par les dévots du Saint-Sacrement et destinée au « renfermement » des mendiants. En 1684,   on ajouta une maison de force, prison destinée à 300 femmes, condamnées pour faits de droit commun et de débauche et prostitution, femmes qui attendaient leur départ pour les Amériques. Ainsi entre 1663 et 1673 plus de 770 jeunes femmes parties de France débarquèrent à Québec envoyées par Louis XIV pour prendre mari et contribuer au peuplement de la Nouvelle-France, 240 quittèrent l’enclos de la Salpêtrière. Ce lieu fait pour loger des femmes, fit de la Salpêtrière un lieu de concentration, de répression et de détention pour femmes. La supérieure de la Salpêtrière était en général une femme. À la veille de 1789, l’hôpital, qui était le plus grand hospice du monde, abritait 10 000 personnes ; la prison comptait plus de trois cents détenus. Jusqu’à la Révolution française la Salpêtrière n’eut aucune fonction médicale : ses malades étaient envoyées à l’Hôtel-Dieu. Pendant la Révolution,  les  3 et 4 septembre 1792, des scènes sanglantes se déroulèrent dans la prison où les aliénées indigentes avaient été entassées. De 1882 à 1892, l’école de la Salpêtrière menée par Jean-Martin Charcot fut l’une des deux grandes écoles de l’« âge d’or » de l’hypnose en France. À la fin du XIXe siècle, à la mi-carême, était organisé chaque année à l’hospice de la Salpêtrière un célèbre bal, le Bal des Folles, ainsi qu’un bal des enfants épileptiques. De nombreuses personnalités y assistaient et la presse parisienne en rendait compte. Sous l’égide du docteur Charcot accompagné par le jeune Freud, stagiaire, et le docteur Babinski, les patientes internées étaient soumises à des études approfondies de leurs névroses “exclusivement féminines”. Chaque année, à la mi-carême, la bonne société parisienne était conviée à un bal pour le moins étonnant : le bal des folles. Cet évènement à la fois mondain  et tragique (les bourgeois s’encanaillent auprès des marginales) était un moment de répit dans ces vies d’internement. La fête dansante et costumée, que la presse relayait sous l’appellation de « bal des folles », est offerte aux pensionnaires de la Salpêtrière comme un saint moment de distraction. Jusqu’à une heure avancée, docteurs, internes, infirmiers, rivalisent d’entrain pour animer le bal sous le regard attentif d’invités de prestige et de nombreuses personnalités du monde médical. Les “folles” se pavanent déguisées en arlequins, pierrettes, pompiers ou mousquetaires, au son des violons et des flûtes, les cuivres étant considérés “dangereux pour leurs nerfs malades”. Au milieu de ce zoo humain, une célèbre danseuse toutefois y fut révélée : Jane Avril. La jeune femme, internée en 1882 à l’âge de 14 ans, découvrit au cours de ce bal son don et sa passion pour la danse. Celle qui deviendra la muse de Toulouse-Lautrec quitte la Salpêtrière un an et demi après son internement, et devient la coqueluche du Moulin-Rouge, du Divan japonais, du Bal Bullier et des Folies-Bergère. Après la démolition en 1896 de l’ancien hôpital de la Pitié, le nouveau fut installé en 1911 sur un site jouxtant celui de la Salpêtrière (sur l’ancien site se trouve aujourd’hui la Grande Mosquée de Paris). Les deux hôpitaux fusionnèrent en 1964. Ils forment aujourd’hui l’hôpital Pitié-Salpêtrière. En 1974 l’hôpital fait l’objet d’une double protection au titre des monuments historiques avec un classement pour le pavillon d’entrée et les différents bâtiments (lingerie, pharmacie, ancienne Force, bâtiment des Archers, différents pavillons). L’hôpital accueille l’Institut du cerveau et de la moelle épinière depuis sa création en septembre 2010.

Autre critique du « Bal des folles » sur ce site https://www.livre.helson.org/2021/05/05/le-bal-des-folles-victoria-mas

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