« Americanah » Chimamanda Ngozi Adichie

with Aucun commentaire
Americanah

Même émotion ressentie qu’avec Poussière dans le vent de Padura avec la nostalgie en moins, mais un humour féroce et provocateur en plus.

Décidément le thème du déracinement, de l’exil volontaire ou forcé est un sujet inépuisable.

Je découvre cette auteure magnifique nigériane, avec « Americanah » roman sociologique de près de 600 pages : deux personnages principaux, liés par une histoire d’amour sont le fil rouge de cet ouvrage qui aborde une foule de sujets sur la vie au Nigéria, l’appel à l’expatriation, les problèmes raciaux et la discrimination.

Ifemelu et Obinze se sont connus au Lycée. Comme tous leurs copains, ils ne rêvent que de quitter leur pays pour poursuivre leurs études aux Etats Unis. Mais l’obtention du visa n’est pas automatique et si Ifemelu l’obtient facilement, Obinze se « contente » après quelques années d’attente de l’Angleterre. Séparés, Ifemelu s’éloigne peu à peu, ne répond plus aux messages d’Obinze et s’ancre avec difficulté dans la vie américaine, aidée par sa tante Uju qui l’a précédée. Tous deux connaissant la difficulté de trouver un job alimentaire. Ifemelu se confronte aux problèmes raciaux qui l’incite à se lancer dans un blog qui très vite connaîtra un franc succès.

Le titre fait référence au surnom donné par les Nigérians à ceux qui sont partis trop longtemps et qui ont été « américanisés » « prononcé en traînant sur la dernière syllabe c’est ce qui risque d’arriver si on veut devenir et se comporter comme des américains »

Les raisons pour lesquelles les jeunes veulent quitter le Nigéria et voyager :

 « Le problème qui secoue les jeunes c’est l’obtention du visa la liberté de choix pouvoir aller aux USA et pouvoir en revenir à sa guise « au moins ils ont la chance d’avoir le choix » Les parents de Ginika passent leur temps à organiser des grèves discuter des salaires impayés   ils (le gouvernement) nous traitent comme des moutons et nous sommes en train de nous comporter comme des moutons »

 « Alexa(anglaise)  changea de sujet : Blanett doit se montrer raisonnable et faire en sorte que ce pays reste un refuge ; les gens qui ont survécu à des conflits terribles doivent pouvoir être autorisés à venir ici ! c’est bien votre avis , Obinze se sentit obligé d’acquiescer ; Alexa, Georgina comprenaient tous la fuite devant la guerre devant la pauvreté qui broyait l’âme humaine mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d’échapper à la léthargie pesante du manque de choix ; ils ne comprenaient pas que des gens comme lui, qui avaient été bien nourris, n’avaient pas manqué d’eau, mais étaient englués dans l‘insatisfaction, conditionnés depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs « étaient aujourd’hui prêts à commettre des actes dangereux, illégaux pour pouvoir partir, bien qu’aucun d’eux ne meure de faim, n’ait été violé, ou ne fuie des villages incendiés, tout simplement avide d’avoir le choix, avide de certitude ;

Vision sur le Nigéria

« Tante Uju  a eu une liaison avec un général puis un enfant et s’est exilée aux US pour y finir ses études de médecine : tu sais nous vivons dans une économie de lèche culs, le plus gros problème ce n’est pas la corruption, c’est qu’il y a une quantité de gens qualifiés qui ne sont pas là où il faut parce qu’ils refusent de lécher le cul de qui que ce soit ou qui ne savent pas qui lécher ou encore ne savent lécher un cul ; j’ai la chance de lécher le cul qu’il faut » ;

« Quand j’ai débuté dans l’immobilier, je voulais réhabiliter de vieilles maisons au lieu de les démolir, mais cela n’avait pas de sens. Les nigérians n’achètent pas une maison pace qu’elle est vieille, ça plait aux européens pas chez nous. Nous appartenons au tiers monde et sommes par conséquent tournés vers l’avenir, nous aimons ce qui est nouveau parce que le meilleur est devant nous tandis que pour les occidentaux le meilleur appartient au passé et c’est pourquoi ils ont le culte du passé »

« j’aime les yoruba, ils s’entraident, .. un yoruba parle yoruba à un autre yoruba, un haoussa parlera haoussa à un compagnon haoussa, igbo un igbo parle anglais à un igbo c’est vrai dit Obinze(igbo) c’est l’héritage d’un peuple vaincu, nous avons perdu la guerre du Biafra et appris à avoir honte »

Regards discriminatoires vis-à-vis des noirs

« Jane élevée à l’ile de  grenade : nous allons bientôt nous installer en banlieue pour fréquenter de meilleures école, sinon notre fille va commencer à se comporter comme les noirs américains

Que veux tu dire par là ?

Ne cherche pas, tu comprendras avec le temps dit Jane »

Uju avait laissé une partie d’elle même ; Obinze disait que c’était l’excès de gratitude qui accompagnait l’insécurité de l’immigrant ;

« Tante Uju « il faut que je défasse mes tresses pour aller à cet entretien et que je défrise mes cheveux ; sinon ils pensent que tu n’es pas pro.

Ifemelu : ah bon il n’y a pas de médecin avec des tresses en Amérique ?

-Je te répète ce qu’on m’a dit ; ici tu n’es pas dans un pays qui est le tien ; agis comme il faut pour réussir »

En Angleterre, Georgina (la riche avocate épouse de Emenike (nigérien d’origine plutôt modeste) demande à son mari de raconter une histoire de taxi : il est tard il cherche un taxi et au moment où il en voit un, ce dernier éteint sa lumière, il continue à attendre et à un moment il croise 2 blanches qui cherchent aussi un taxi, le taxi rallume la lumière et prend les 2 jeunes femmes.

Appel à Michele Obama : les cheveux comme métaphore de la race

Mon amie blanche et moi sommes 2 groupies de Michele Obama je me demande si Michele Obama a des extensions, ses cheveux paraissent plus fournis à présent et les passer au fer tous les jours doit sacrément les abimer « Tu veux dire que ses cheveux ne poussent pas naturellement de cette façon ? donc est-ce une erreur de ma part ou n’avons-nous pas ici la parfaite métaphore de la race en Amérique ? les cheveux. Avez-vous remarqué qu’à la télé dans les émissions sur la beauté, les Noires ont des cheveux naturels (rêches, enroulés, crépus ou frisés) sur la vilaine photo avant et sur la flatteuse photo « après » on a lissé leurs cheveux. Certaines noires américaines ou pas préféreraient se balader nues plutôt que d’être vues avec leurs cheveux naturels, parce que ce n’est pas pro, ce que vous voudrez mais tout simplement ce n’est pas normal pourrait on arrêter ces perruques afro à Halloween car non l‘afro n’est pas un déguisement. Imaginez que Michele Obama en aitassez des fers à défriser et décide de revenir à ses cheveux naturels, apparaisse avec une masse de cheveux laineux ou boucles serrées elle serait hallucinante et le pauvre Obama perdrait sûrement le vote des indépendants et même celui les démocrates indécis.

Relations africains et noirs américains

« notez qu’en général les afro américains adhèrent au syndicat des étudiants noirs (SEN) et les africains à l’associations des étudiants africains (AEA); les africains qui sont membres du SEN  manquent d’assurance et vous disent presque aussitôt : je suis originaire du Kenya …. Même si le Kenya déboule au moment où ils ouvrent la bouche ; vous découvrirez aussi que vous vous liez plus facilement avec d’autres expatriés, coréens, brésiliens, peu importe qu’avec des américains noirs ou blancs ; beaucoup d’expatriés comprennent la difficulté d’essayer d’obtenir le visa américain et c’est une bonne façon de lier amitié Ifemelu n’avait pas envie d’engager la conversation avec Kelsey elle reconnaissait chez elle le nationalisme des américains libéraux qui critiquent copieusement l‘Amérique mais n’aiment pas que vous en fassiez autant ; ils s’attendent à ce que vous gardiez le silence , soyez reconnaissant et vous rappellent en permanence à quel point l‘Amérique est supérieure à l’endroit que qu’il soit d’où vous venez ;

« Beaucoup de chauffeurs de taxi étaient soit éthiopiens soit des penjabis

Le chauffeur éthiopien lui dit :

je n’arrive pas à situer votre accent : d’où venez vous ?

 Du Nigéria 

vous n’avez pas l’air d’une américaine

Pourquoi ?

Parce que votre chemisier est trop serré , j’ai cru que vous veniez de Trinidad ou d’un de ces endroits. Vous devez faire très attention sinon l’Amérique vous corrompra. « 

Plus tard elle écrira sur son blog sur les divisions au sein de la communauté des noirs non américains en Amérique. elle raconta l’histoire à Curt. Qui rit et rit beaucoup de cette histoire. Ils aimaient lui et ses amis Ifemelu sur sa façon de dire franchement ce qu’elle pensait. Un jour elle entendit Curt dire hâbleur à son interlocuteur. Hâbleur, ce mot ne lui serait jamais venu à ‘esprit et prendre conscience et se rendre compte que Curt et ses amis seraient à jamais à un certain degré jamais totalement compris d’elle.

Regards des africains sur les uSA

 « le problème avec les relations interculturelles c’est qu’on passe un temps fou à se justifier mon ex et moi passions des heures entières à nous expliquer. Je me demandais même parfois si nous aurions eu quelque chose à nous dire si nous avions été originaires du même endroit. »

« J’aime l’Amérique, c’est vraiment le seul pays au monde où je pourrais vivre en dehors d’ici ; mais je ne suis pas d’accord sur l’éducation des enfants ; je veux qu’ils disent bonjour et bonsoir et pas salut aux adultes. Je ne veux pas d’un enfant gavé de compliments qui s’attend à recevoir une médaille en récompense de ses efforts et répond aux adultes au nom de la liberté d’expression ; est-ce une attitude « conservatrice » ? c’est ce que disaient les copains de Blaine et pour eux « conservateur » est la pire insulte qui soit » 

Les idées des blancs américains sur les relations des noirs entre eux :

« Stirling le type fortuné , issu d’une vieille famille de Boston, sympathisant de gauche, plein de bonnes intentions ; inhibé par la conscience de ses nombreux privilèges . Il ne se permettait jamais de manifester une opinion : Oui, je vois ce que vous entendez par là disait il souvent ».

« A propos, vous savez pourquoi Ifemelu peut écrire ce blog , dit Shan (sœur de Blaine) c’est parce qu’elle est africaine, elle a un point de vue extérieur, ne ressent pas vraiment tout ce qu’elle décrit elle n’y voit que des comportements pittoresques et bizarres. C’est pourquoi elle peut les écrire, recevoir les encouragements assister à nos conférences , si elle était afro américaine, on la traiterait d’aigrie et on l’éviterait » .

« Comprendre l‘Amérique pour un non américain

De tous les préjugés culturels, c’est la race qui pose le plus de problèmes aux américains. Si vous avez une conversation avec un africain, que vous souhaitez traiter d’un sujet racial et que votre interlocuteur vous déclare : oh c’est simpliste de dire que c’est racial, le racisme est tellement complexe, cela signifie qu’il préfère que vous la boucliez car il est vrai que le racisme est complexe, de nombreux abolitionnistes voulaient libérer les esclaves mais n’en voulaient pas dans leur voisinage. On accepte volontiers une nounou noire un chauffeur noir mais qui voudrait un boss noir ? »

En conclusion, la force de ce roman est de mêler les ressorts classiques d’une histoire banale mais magniiquement racontée et d’illustrer par le jeu de ces échanges d’abord réels entre les deux protagonsites puis à distance la complexité des identités culturelles et l’hégémonie américaine sur tous les plans: social, culturel, économique. Même les nigérians, fascinés par la réusiite américaine ne lisent que des romans américains.« Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. »

N’oublions pas non plus le « féminisme » sous jacent d’Ifémelu double de l’auteure dotée d’un sacré tempérament.

Une belle réflexion pour le lecteur.

Répondre