« Rose à crédit » Elsa Triolet

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Rose à crédit est le 1er livre d’une trilogie « l’age de nylon », écrite par Elsa Triolet. Il est sorti en 1959, et plus qu’un roman, c’est une fable, et une étude sociologique de la société au sortir de la guerre et au début des 30 glorieuses qui ont vu fleurir la société de consommation avec son corollaire : le crédit, et  le surendettement des ménages

Elsa Triolet, grande bourgeoise d’origine russe, issue d’un milieu littéraire et artistique regarde ses personnages et les décrit, mais de loin, car ce n’est pas son monde.  D’où cette idée de récit sociologique plus que de roman. Pour cette raison certains lecteurs ont pu lui reprocher son manque d’empathie pour ses personnages

Elle décrit le début des 30 Glorieuses, les tentations de la consommation, l’arrivée des arts ménagers, et nous fait retrouver au cours d’une phrase les produits disparus tels que le formica, le bulgomme, le tête à tête Primarosa, ou la combinaison sous la robe. Elle peint une morale des années 50, les jugements de l’époque, à travers les paroles des femmes qui entourent l’héroïne, Martine

D’un coté l’explosion des désirs, attisée par le rêve sur papier glacé que font miroiter les magazines féminins, et principalement le journal « Elle » qui a façonné le goût des femmes de cette époque. De l’autre côté l’extrême pauvreté d’une partie de la population, qui dans les années 54-55 n’arrivaient pas à se loger, ni se nourrir, et vivaient dans des « cabanes » pleines de rats, comme celle de la famille de Martine

Enfin apparait un autre aspect de cette époque, la foi dans la science comme moyen de progrès, et c’est Daniel qui en est le représentant. Il arrivera d’ailleurs à la fin du roman à créer son rêve :  la rose avec une forme moderne et le parfum d’antan, et il lui donnera, mais trop tard, le nom de Martine Donnelle

Comme d’autres intellectuels de l’époque (Boris Vian avec sa chanson « La complainte du progrès », Georges Perec avec son roman « les choses »), Elsa Triolet critique le mirage de la consommation, et le fait à travers le portrait psychologique de Martine, petite fille et femme brillante mais dont l’enfance a été si traumatisante qu’elle n’a qu’un désir pour s’en évader : ressembler à l’image offerte par les magazines, que lui présente sa famille d’adoption, et principalement posséder un logement et des meubles qui assoient son statut. Bien sûr le rêve sur papier glacé prend la place des vrais échanges et des vraies relations, et l’obsession est si forte chez elle, qu’elle va entrer dans une spirale de surendettement et devenir la proie des vendeurs de crédit, qui prêtent puis reprennent les objets non payés jusqu’au bout. Et ses besoins d’objets l’isoleront de plus en plus et amèneront à sa perte

Un autre volet de ce récit, le roman d’amour, montre une passion amoureuse de Martine vis-à-vis de Daniel. Son amour est authentique, et grâce à cela Martine rejette complètement l’image que la société lui propose en tant que femme, et que son amie Cécile adopte en faisant un mariage de raison. Mais elle ne peut aimer Daniel que comme les objets qui la rassurent, elle le « chosifie ». Lui-même l’aime aussi au début, mais il se rend compte qu’il ne partage rien avec elle, que ce qui intéresse l’un est étranger à l’autre, et devant le manque d’échange réel il partira et trouvera une autre femme

Quelques participants ont reproché au style d’être ennuyeux, trop répétitif, ou trop froid. D’autres ont aimé avec des réserves, plus qu’un roman de gare, mais lui manquant quelque chose. Enfin un 3eme groupe a beaucoup aimé le roman, a trouvé l’écriture belle, avec des descriptions fluides et légères. Une lectrice a trouvé des trésors d’expression, de l’humour, de la poésie, une langue étonnante, comme une langue parlée mais riche

Elsa Triolet a été la 1ere femme à remporter le prix Goncourt, en 1945 (pour l’année 1944) avec un ensemble de 4 nouvelles écrites pendant la guerre, alors qu’elle était résistante, et réunies sous le titre « Le premier accroc coute deux cents francs ». Elle a également traduit en russe « Voyage au bout de la nuit ». C’était une figure intellectuelle marquante pendant la période de l’après-guerre

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