« Trois jours et une vie » Pierre Lemaître

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Malgré quelques réticences sur cette horrible histoire, ce livre, roman-fiction, noir, très dérangeant et déchirant, a été fort apprécié et a ému un maximum d’entre nous. Il se déroule comme un très bon polar même si on connaît dès le début le meurtrier et la victime (2 enfants!), par les rebondissements de son intrigue, au suspense continu, fluide, très agréable à lire, avec une belle écriture incisive et nerveuse, très détaillée, une construction intéressante et bien ficelée, il se déploie comme un film (d’ailleurs un film est sorti en 2018) où les émotions contradictoires se succèdent.

           Malgré l’abomination de l’acte d’Antoine il reste un personnage plutôt sympathique, en grande souffrance et nous avons plus parlé sur lui et autour de lui que du petit Rémi, la victime ! Responsabilité, culpabilité, condamnation, 3 jours de drame et une vie gâchée, vie d’angoisse !

Des descriptions puissantes sur différents thèmes :

-Le moindre détail est comme une obsession pour Antoine où il est happé par la peur de ce qui peut lui arriver et non par le sentiment de culpabilité et comment survivre à la conscience d’être un assassin !

-la spirale de ce roman psychologique est infernale où les conséquences de l’acte d’Antoine et ses choix sont parfaitement disséqués. L’auteur analyse, cisèle et déroule le cheminement de ses pensées et de ses actes au moindre détail : un enfant de 12 ans, de parents séparés, père absent, solitaire, peu expansif, se sentant responsable de sa mère, rejeté ou mis à l’écart des copains et humilié par eux, méprisé par Émilie sur laquelle il fantasme, subit et reçoit la perte du chien d’une façon sidérante, violente et injuste. Cette mort du chien lui renvoie sa souffrance par rapport à sa solitude entraînant de la colère qui exacerbe ce sentiment d’injustice qu’il va manifester devant Rémi, le bouc émissaire, le fils du tueur du chien ! Et ce geste malheureux, sans intention de donner la mort à Rémi, (au père oui peut-être !), entraîne le drame, suite à cette colère qui se décline en fureur, bâton et coups, puis les évènements s’enchaînent avec le fait d’être toujours aux aguets, la panique, la peur et la fuite. Il commet 2 actes d’une grande violence sur Rémi et sur Théo avec toujours le bâton !

-Antoine est vu aussi comme un enfant, pas spécialement courageux, misanthrope, cherchant à protéger sa mère et lui-même, soumis à sa peur. Le mélange de fiction et de réalité chez Antoine qui finit par croire à la version qu’il raconte.

-la notion karmique, la loi de cause à effet : Antoine se fait piéger par ce sentiment d’injustice, et, en ne faisant pas face à la réalité, il devient prisonnier de son acte et de son silence, alors que sa vie continue avec l’espoir que l’on ne découvrira rien et pour ne pas s’être dénoncé, il va payer toute sa vie. L’auteur, pierre Lemaître, est un maître dans les rebondissements avec alternance entre peur et faire-face. Il présente une faculté intuitive de se mettre à la place d’un enfant de 12 ans en décrivant ce qu’il ressent !

-la mère d’Antoine, non communicative, a du mal à montrer ses sentiments et pense que la vie doit toujours prendre le dessus ; pour d’autres une mère absente et dissimulatrice qui comme le médecin et Kowalski se doutent de l’implication d’Antoine dans la disparition de Rémi ou de sa culpabilité.

-une analyse sociologique du village non manichéenne : les habitants sont bouleversés par la disparition de Rémi, la notion de rumeur est récurrente, les comportements des villageois, leurs problèmes, leurs relations avec égoïsme et entraide, le cancanage, le regard des autres, les on-dit, le conformisme, la religion prégnante sont bien vus ainsi que le chômage qui les menace.

-la notion de collectivité et d’individualisme est soulignée lorsque tout le monde s’associe pour organiser une battue, affaire collective et l’égoïsme quand une dame sort de l’église en ayant pris tous les cierges ; le maire s’occupe de ses administrés avant de s’occuper de son usine pourtant très touchée par la tempête ; quand Antoine propose à sa mère d’aller aider les Desmedt elle répond « je n’ai pas que ça à faire, moi » !

           Un livre intelligent, bien mené jusqu’au dénouement où tout prend des proportions démesurées comme cette tempête de 1999, fait réel, tempête excellemment décrite qui rappelle des souvenirs ! Le parallèle entre la tempête dans la tête d’Antoine et la vraie tempête où les éléments se déchaînent avec vent violent,  orages et tornades. Un livre qui démarre comme un coup de poing et se termine comme un coup de théâtre ! Antoine de tueur devient soigneur !

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