« La papeterie Tsubaki » Ogawa Ito

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Ce roman très prenant et amusant, qui a régalé tous les lecteurs et lectrices est un petit chef d’œuvre de part son écriture simple, fluide et colorée et de part sa beauté, sa lenteur, sa délicatesse, son raffinement, sa profondeur, sa bienveillance, son aspect plaisant et dépaysant. Grâce au plan de la première page et à travers les balades dans Kamakura, petite ville Japonaise du bord de mer, située à  50km au sud de Tokyo, l’auteur nous entraîne dans un véritable voyage célébré par les virées culinaires et gustatives, exalté par les rencontres des différents intervenants et par les échanges du voisinage. Un voyage intime rythmé par les rituels du quotidien et l’alternance des saisons comme dans les haïkus. Un livre qui fait du bien !

      L’écriture, fil conducteur tout au long du récit, élément-clé de l’histoire de Poppo, lui permet de faire la paix avec son passé et représente la transmission, la transition, la force, la communication et la vie :

-Poppo qui a hérité de la papeterie de sa tante et grand-mère, devient écrivain public mais un écrivain public particulier, pas comme on l’entend en occident. A travers les demandes très spécifiques de personnages pittoresques et parfois farfelus (cartes de vœux ; condoléances de Mme Calpis à des amis pour leur singe Gonnosuke ; fillette pour lettre d’amour à son professeur ; couple qui divorce et écrit à ceux qui ont assisté à leur mariage ; Sonoda un ancien amoureux qui écrit à la femme qu’il a aimée ; le Baron dit non à une demande de prêt ; Karen, dysgraphique, veut envoyer des vœux à sa sévère belle-mère ; un fils envoie une lettre à sa mère au nom de son père depuis le paradis ; la lettre de rupture avec une amie encore appréciée ; son ex amie Mai lui demande une lettre de rupture avec son maître de thé, une femme), Poppo s’investit pleinement, de façon altruiste, avec beaucoup d’empathie pour rédiger ces récits  épistolaires fortement mûris et vrais, elle glisse dans ces personnages et essaie de rentrer à la fois dans le vécu du commanditaire mais aussi dans les pensées des destinataires et ceci dans des situations particulières qui lui donnent toute l’inspiration.

-En utilisant du matériel de façon très spécifique, elle met beaucoup de soin et de minutie à choisir papier, plume, enveloppe, encre, timbre, ainsi que la forme de la calligraphie elle-même, tout en s’appuyant sur des rituels  quotidiens et anciens, appliqués par sa grand-mère. Cette minutie apporte une sensation de quiétude augmentée par la simplicité de sa vie, ses relations de voisinage, les échanges où tout semble couler sans heurt, sans bousculade de façon zen. A l’heure d’internet, SMS et mails, l’éloge de l’écriture et de ses outils, évoquée tout au long du  récit avec de belles citations comme « Mais l’écriture manuscrite, celle de la main d’un être vivant, possède un supplément d’âme qui ne se résume pas à la simple beauté formelle. Elle prend de l’âge avec son propriétaire, elle vieillit. », est bien menée, intéressante et envoûtante.

-L’auteur, par la révolte de Poppo contre sa grand-mère, montre l’importance de l’oralité, des mots dits et des non-dits et avec la lettre finale, poignante, une véritable ode à sa grand-mère et en même temps à l’écriture qui permet de dire ce que l’oralité n’a pas permis.

      Un parallèle est fait entre la jeunesse de Poppo et sa maturité de cœur : son métier artistique où les improvisations sont impossibles, est utile, a du sens et lui donne un rôle de guérisseur.

      Le drame entre l’Aînée et Poppo qui se sont loupées à cause du manque de parole. L’Aînée a deviné chez Poppo, et ceci toute petite, des qualités que la mère de Poppo n’avait pas. Avec beaucoup de rigueur elle modèle sa petite-fille très jeune par un entraînement disciplinaire de la calligraphie et de son art. A cause de cela Poppo n’a pas le temps de jouer ni d’avoir de petites copines, elle n’a pas un seul bon souvenir de son enfance, elle s’est sentie enfermée dans cet enseignement et a fini par se rebeller très violemment, mais en contre-partie et grâce à cet apprentissage elle est devenue une experte en calligraphie ! peut-on parler d’enfance volée ? Ce livre pose la question de l’utilité de la rigueur avec ses excès et ses méfaits et de l’importance de laisser l’imagination enfantine vivre : trouver le juste milieu.

      Un livre initiatique : frappée par le besoin de nettoyer les sols, les cirer tous les matins, frotter, briquer et se débarbouiller, ces éléments symbolisent le besoin de purification pour faire de la place et petit à petit elle découvre ses failles, sa relation avec l’Ainée et sa résilience se fait à travers les rencontres des demandeurs et les relations amicales. Les commanditaires comme le baron qui lui révèle des éléments de son enfance, l’italien et les lettres, Karen et sa dysgraphie, sont comme des clés lui permettant de comprendre ses erreurs, ses préjugés. Les relations de voisinage sont des échanges précieux avec notamment Barbara, une gourmande de la vie, aimant toutes les saisons, les échanges, les repas, les hommes, les vêtements. Elle fait du bien à Poppo et devient un catalyseur par la formule « brille » qui agit sur Poppo pour se rendre compte de ses pensées négatives et les transformer en positives (méthode Coué), ainsi que la symbolique de la cérémonie de la coupelle. Puis Poppo écrit pour elle-même et en utilisant tous ces rituels, aux temples et à travers les saisons, elle retrouve son moi intérieur et finit par calligraphier la même épitaphe que l’Aînée et découvre les preuves que l’Aînée n’était pas si méchante, qu’elle l’aimait et qu’elle avait agit pour son bien et se réconcilie avec la lettre finale, lettre de pardon ! Une réconciliation avec elle-même, avec sa famille et son livre se termine par le printemps, moment de renaissance avec rencontre et libération.

      Pas ou peu de contact charnel sauf le père qui porte sa fille sur son dos, renvoyant à Poppo l’expérience avec l’Ainée, puis ensuite Mr Morikage la porte aussi et leur relation amoureuse s’installe et on comprend que cette relation sera consommée grâce à la symbolique de la scène avec le stylo Waterman : « la beauté austère de son corps… », scène d’amour entre Poppo et le père de QP. Une autre métaphore est celle de l’écriture en miroir de QP qui renvoie Poppo à son passé.

      Le Japon, connu comme un pays hors normes, où la rigueur est de mise avec une notion de compétition très poussée et violente, se présente ici comme une vie de cocagne avec une ambiance extrêmement agréable où tendresse, finesse et poésie sont récurrentes, avec un quotidien plein de charme, de poésie, de plaisir à déguster, à découvrir la nature au fil des saisons avec des traditions particulières. Tout un art de vivre en harmonie avec la nature où l’importance et les effets des saisons sont bien déployés.

      Hiragana et katakana sont 2 systèmes clé de l’écriture japonaise ou alphabet, grâce à l’enseignement de l’aînée Poppo récite à 1an et demi le hiragana, à 4 ans le katakana, à 3 ans écrit, et tient le pinceau à 6 ans, entraînement très prenant !

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