« Ame brisée Akira Mizubayashi

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L’année a bien démarré avec ce beau livre (conseillé par Jean Pierre), considéré à l’unanimité comme remarquable par bien des aspects. Nous étions seize mais aucun ne connaissait cet auteur japonais à la double culture, né en 1951, et qui écrit directement en français bien que ce ne soit pas sa langue maternelle.

Tout d’abord le style : fluide, plaisant à lire, léger, les phrases sont courtes, allusives, et la prose simple. Chaque petit chapitre relance l’action. L’écriture fait appel à tous les sens : les sons bien sûr, avec la musique au cœur du roman, mais également les images, les saveurs lorsque Rei redécouvre le goût de l’œuf cru battu dans un bol de riz chaud, la chaleur du chien venu se blottir contre le petit garçon désemparé … Délicatesse, poésie, mélancolie, pudeur sont des termes repris par plusieurs d’entre nous. Les évènements historiques dramatiques qui constituent le fond du roman sont évoqués de la façon la plus sobre qui soit.

Certains ont vu dans ce livre une sorte de conte, avec très peu de personnages, ce qui représenterait une difficulté pour un scenario de film, mais permet d’imaginer d’autres personnages, y compris des fantômes, chers aux réalisateurs japonais justement.

D’autres y ont plutôt vu une quête mémorielle, celle du petit garçon ayant subi à onze ans un traumatisme qui ne se dénouera que très tard dans sa vie, par une approche quasi psychanalytique. On comprend que le violon cassé qui appartenait à son père va montrer au petit Rei la route toute tracée de son destin.

Deux de nos lecteurs mélomanes ont remarqué la structure du livre, avec comme dans le Rosamunde de Schubert qu’était en train d’interpréter le quatuor à cordes dirigé par le père de Rei lors de l’intrusion des militaires en ce 6 novembre 1938, à Tokyo, quatre parties fort distinctes : je cite Françoise :

-L’Allegro ma non troppo présente les personnages et le climat de la scène qui devient angoissante pour l’enfant tapi dans l’armoire qui entend l’arrestation de son père par des soldats grossiers à l’exception du lieutenant mélomane. Qui le sauve en l’ignorant et en lui remettant le violon brisé de son père.

-L’Andante explique le parcours du jeune Rei devenu adulte, fils adoptif de l’ami de son père qui l’a ramené en France en 1938 et lui a permis de faire ses études à Mirecourt et Crémone, les hauts lieux de la lutherie. Comme dans Rosamunde, l’atmosphère est plus tranquille, mais sans passion exceptée celle de restaurer le violon piétiné. Il épouse Hélène, archetière, après une longue période de camaraderie. Mais pas de coup de foudre. Il devient un luthier réputé, de grands violonistes deviennent ses clients. Le violon de son père, le Vuillaume, a conduit son choix de vie.

-Le Menuetto nous dirige vers la véritable « ressuscitation » du violon à l’âme brisée par la rencontre avec la petite fille de Dieu Noir, violoniste de renom. C’est le début d’une démarche personnelle de travail sur soi pour mieux vivre sa vie présente. Il prend connaissance du parcours de Dieu noir resté lui-même hanté par le souvenir de ce jour sinistre.

-Enfin l’Allegro moderato plus serein qui termine le parcours de travail sur soi avec la rencontre avec la jeune Chinoise devenue une vieille dame, amoureuse de Yu son père. Et la restitution du cardigan rose de la mère de Rei ainsi que du livre de son père « Le bateau-usine ».

C’est un livre qui porte des valeurs, l’amour filial, la reconnaissance, le pardon, le travail bien fait – on pense aux milliers d’heures passées par Jacques et Hélène à fabriquer dans le silence de leur atelier violons et archets au service des interprètes, y compris les plus grands. C’est aussi l’éloge de la lenteur, avec Jacques qui passe cinq années à Mirecourt pour apprendre le métier de luthier, puis encore seize à Crémone pour se perfectionner et se sentir enfin prêt à réparer le violon. « De belles personnes », a dit Claude. Livre didactique sans être pesant, on apprend beaucoup de choses sur toutes sortes de domaines ayant trait à la musique, à commencer par ce qu’est l’âme d’un violon – pour les quelques non spécialistes.

Enfin, à la lecture de ce livre plusieurs d’entre nous ont évoqué qui un film (Marie Josée « Le pianiste » de Polanski avec le nazi qui épargne le pianiste juif en l’écoutant jouer, ou Marc « Les uns et les autres » de Lelouch construit sur le Boléro de Maurice Ravel), qui un orchestre (Cécile le West Eastern Divan orchestra de Daniel Barenboïm, la musique comme tentative d’abolition des frontières).

Bref, un livre à l’apparence simple qui a nous a donné l’occasion d’une riche discussion. Le buffet libanais qui s’ensuivit ainsi que les galettes des rois ont clos fort agréablement cette première réunion de 2023 chez Maryse et Pierre.

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