
Tous les participants ou presque (une réfractaire a eu des difficultés à entrer dans ce roman trouvant les personnages trop caricaturaux) ont fortement apprécié ce livre intéressant, superbe, poétique, palpitant, passionnant, une petite merveille, un livre facile à lire, qui nous a rappelé « Impossible ».
Un roman social sur une arnaque avec une thématique forte, d’actualité et universelle : il s’agit de dénoncer les malversations des méchants promoteurs qui détruisent les paysages naturels et arnaquent les indigènes en leur mentant sur les bénéfices à tirer de leurs investissements.
L’écriture, le ton et le style sont intenses et très particuliers : deux protagonistes, aussi magistraux l’un que l’autre, se font face, le monologue narratif de Kermeur face au recadrage court et précis du juge, des liens se créent entre eux. Une histoire touchante habilement construite.
Kermeur fait son propre réquisitoire. Il raconte les faits à sa façon, avec ses tripes et son cœur, selon son ressenti, avec des difficultés à dire les choses, sans pudeur, avec beaucoup de véracité, de façon très simple mais approfondissant progressivement, car tout en se dévoilant il prend une certaine distance par rapport à son histoire et cela devient une sorte de psychothérapie. Il comprend que le juge le sauve. « mon histoire est comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit ».
Le juge qui incarne la loi, face au soliloque de Kermeur, s’assimile au prévenu. Il l’écoute, le fait parler, le recadre, l’aide à trouver le mot juste, même parfois avec impatience et rudesse, mais il le fait avec beaucoup de bienveillance, d’humanité et d’empathie. Il devient le thérapeute de Kermeur, plus humain que professionnel et fait jouer ce fameux article 353 sur l’intime conviction. Ce juge est un malin, en plus de savoir écouter, il sait trouver une solution juste et légale qui satisfait tout le monde…y compris le lecteur.
Ce face à face qui donne de la puissance et de la soutenance à cette fiction à la fois agréable et profonde, crée et maintient le suspense et l’intrigue alors que les éléments tragiques ont été très vite dévoilés, comme l’assassinat de Lazenec et ceci dès la première page, puis l’emprisonnement de Erwan et le suicide de Legoff. Kermeur, avec des mots simples, soutenu par le juge, complète ses descriptifs, son vocabulaire s’enrichit ; son auto-analyse le libère, il se sent soulagé ; une espèce de transfert se crée, les choses entre eux s’harmonisent, la tension baisse, et le juge devient partial en utilisant cet article, ce qui nous a questionnés !
La relation Kermeur/Lazenec est une histoire d’emprise :
Kermeur est un socialo gentil, bon père, bon citoyen, mais quand il perd son travail et sa femme, il devient vulnérable et combiné à sa nature, naïf et rêveur, il signe un contrat d’achat d’appartement, contrat bidon ! Quand le bouchon est poussé trop loin, au bout de 6 ans l’immeuble n’étant toujours pas construit, lorsque son fils passe à l’acte (le relâchement de tous les cordages des bateaux, acte pour redonner de la dignité à son père), il commet l’assassinat, seul acte possible à ses yeux, comme s’il voulait racheter son fils et payer à sa place et rattraper ce qui n’a pas été fait et en même temps rétablir la justice en punissant Lazenec. Après la fierté d’avoir acheté un appartement, puis la honte de s’être fait berné « la honte de n’avoir rien dit à personne et tout ça parce que moi le socialiste de 1981 avais investi mon fric dans un projet immobilier », puis le silence car aux yeux des autres, il passerait pour un capitaliste!!! Son plaidoyer est une véritable colère froide contre l’emprise, d’un grand courage. Un sentiment de culpabilité : ne pas avoir vu la souffrance de Legoff et avoir traité son fils d’imbécile.
Lazenec, promoteur malin, mythomane, maléfique, toxique, pervers, sans scrupules, aimant séduire, atrophié par manque d’humanité, prédateur, manipulateur (amadoue Kermeur, l’utilise et l’amène à acheter l’appartement), un mec nuisible mais aussi désinvolte, hors des réalités et parfois un chic type surtout quand il s’occupe d’Erwan, le balade en voiture, l’emmène au stade ! Dans une situation bloquée et désespérée, comment un petit grain de sable va faire inverser les choses : le prédateur qui tisse sa toile pour mieux enfermer ses victimes va devenir lui-même victime ; mais aussi un homme normal chez qui l’argent coule à flot, avec une dose d’inconscience.
De nombreuses métaphores, très réalistes et imagées, foisonnent dans cette histoire et deux sont très symboliques : Kermeur joue au loto régulièrement et le jour où ses numéros sont sortis, il n’a pas validé son ticket ! Le manège qui devient roue infernale, symbolise l’allégorie par rapport à l’achat de l’appartement qui ne se concrétise pas, une spirale vertigineuse. Assis dans le fourgon il se dit : « que le ciel essayait de traverser le grillage pour se mettre à l’abri lui aussi et ça faisait comme un rideau de tulle qu’on aurait posé sur la ville et qui ressemblait à notre histoire » ;« la vitesse des mots comme l’a un juge ou un avocat, les fait cingler comme un fouet dans l’air » ; « mon acte de vente signé et tamponné, c’était comme si j’avais eu le Saint-Suaire authentifié par le Christ en personne ».
Répondre
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.