« Les lois de la gravité » Jean Teulé

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Notre réunion a suscité un panel très large de réactions allant de l’appréciation au rejet, en passant par le sourire et l’amusement, mais intéressant, avec de nombreux questionnements ! On retrouve la force d’écriture de Teulé, ses descriptions goûteuses, son humour avec cet aspect noir, cru et fou, au deuxième degré, sur des gens ordinaires, eux-mêmes tous victimes, proches de la folie, dans un lieu inquiétant et triste, un commissariat à 21h, dans une ambiance sinistre!

         Par de courts chapitres, l’auteur fait évoluer une situation ubuesque, à travers deux personnages essentiels qui mènent la danse dans cette fiction tragi-comique, partie d’une histoire vraie. Cette œuvre rappelle, en moins bien, notre dernière lecture, « article 353 du code pénal », et aussi fait penser aux histoires loufoques de John Riel. Un livre qui désarçonne car à la fois pétillant et sinistre, improbable et possible, déjanté et poétique. Un huis clos avec des échanges cocasses où l’absurdité de la situation est bien menée, du théâtre ! D’ailleurs ce livre a été adapté au cinéma en 2013 et joué au théâtre en 2015 avec « Miou-Miou ». Dans ce face à face qui ressemble à un match, un jeu de chat et de souris, où le monde est à l’envers, les protagonistes sont bien campés, réalistes et imagés, des échanges bien traduits. Que ce soit avec le style ou avec l’histoire, l’auteur alterne entre grave et léger, le rien et l’important, un mélange d’éléments graves et tristes qui dérangent et choquent, et d’autres légers et drôles : la gravité ! Que faut-il prendre au sérieux ?

         Une femme, non nommée, insignifiante, avec sa petite valise sur les genoux (contenant des flacons de sable qu’elle ira déverser, symbole de la vie qui s’écoule inéluctable, du destin?), vient se constituer prisonnière après avoir poussé son mari violent, dépressif et suicidaire, il a basculé du onzième étage et la « gravité » a fait le reste ! Cette femme s’est emprisonnée dans sa culpabilité qu’elle traîne depuis presque 10 ans, qui la rend malade et pour sortir de cet enfermement, il lui reste quelques heures, elle veut la prison réelle ! Cette femme est restée 10 ans sans rien dire et après la prescription elle se retrouvera libre et cette liberté qui lui fait peur, est impossible pour elle, femme emprisonnée dans sa vie et dans sa culpabilité, vraie ou non ! Donc elle se dénonce pour retrouver un cadre autoritaire, la prison ! Et d’ailleurs qu’elle soient obnubilée et persuadée par le fait que ses enfants aient tapissé la chambre de photos du père montre la folie de cette femme !

         Le policier est de plus en plus compatissant, surtout après qu’elle lui ait raconté sa vie, son calvaire avec ce mari rustre, violent, inhumain. Probablement attiré par cette femme, il va tout faire pour retarder la déclaration, pour éviter de l’enregistrer avant minuit, date de la  prescription ! Il essaie de convaincre la criminelle que le meurtre commis est excusable et ne mérite sûrement pas qu’on fasse de la paperasse. Il invente tout un tas d’arguments pour faire durer, pour inverser la trajectoire et renverser la gravité ! (il la questionne sur son mari, sa vie, ses enfants, son métier et son importance, ce qu’elle apporte aux gens, lui propose de l’aider à porter le secret, prétexte des dossiers en retard, un ordinateur défectueux, il meuble, il palabre!). Puis il va devenir violent, cinglé et drogué !

         Pour certains, le premier chapitre est très prometteur, un synopsis de film bien écrit, qui fait espérer de bons dialogues mais cela dégénère et devient invraisemblable, un comique de boulevard avec de nombreux gadgets et des loufoqueries qui fonctionnent. Pour d’autres trop d’incohérences ! Trop de choses qui choquent ! Vierge de Lisieux ? Bague ?les enfants ?

         Cette fiction pose le problème de la justice, du policier humain qui refuse de prendre la déposition, le sujet de la prescription, de la vérité (est-elle toujours bonne à dire), de l’omission et le thème de la culpabilité. Un sentiment de faute, de violation des codes religieux, moral et sociétal, poursuit cette femme et cette culpabilité objective va jusqu’à la névrose. Mais a-t-elle réellement poussé son mari ? A-t-elle cru l’avoir poussé ? A-t-elle eu envie de le pousser ?  Pourquoi les enfermés dans la cellule sont casqués ? Cette fiction pose le problème de la névrose de cette femme face à l’addiction du policier.

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