Ce livre a eu le grand prix du roman de l’académie française.
L’auteur est un politologue franco-italien-suisse. Il a, entre autres, été conseiller de Mattéo Renzi et ancien maire adjoint de Florence, journaliste.
C’est le premier roman de l’auteur qui a écrit jusqu’à maintenant des essais. Il a choisi cette forme littéraire pour être le rendre plus accessible à ses lecteurs.
Son livre relate le parcours exceptionnel de Baranov (inspiré de Vladislav Zourkov), « spin doctor » de Poutine, éminence grise et homme de communication (il est responsable d’une chaine de TV). Il le fait à travers une rencontre entre un journaliste français et Baranov pour discuter d’un écrivain russe du début du 20ème siècle qui a écrit une dystopie intitulée : « Nous autres ».*
Au cours de cet entretien, Baranov, homme de théâtre d’avant-garde, explique quel rôle il a joué dans l’édification du système de gouvernement de Poutine. Quels principes, quels mécanismes il a utilisé pour faciliter l’ascension de ce dernier, après l’effondrement de l’URSS en 1991.
C’est une réflexion sur le pouvoir autoritaire exercé par Poutine basé sur trois axes majeurs : 1-la relation entre le théâtre et le pouvoir (la politique est un mythe. Il s’agit de trouver une trame narrative pour réhabiliter le mythe de la grande Russie, restaurer la fierté russe. Les hommes politiques sont des acteurs qui participent à une performance artistique).2-La verticalité du pouvoir (instaurée pour calmer les angoisses de l’homme).3- La stratégie du chaos (pour imposer l’ordre, il s’agit de créer du conflit partout, de créer des affrontements en exacerbant tout ce qui oppose les hommes par la manipulation, la désinformation, la propagande. Il s’agit de s’appuyer sur la mafia, les trafiquants, tous ceux qui sont prêts à exercer le pouvoir dans une violence extrême (« les loups de la nuit »). L’auteur fait dire à Baranov : « Le pouvoir c’est comme le soleil et la mort, ils ne peuvent se regarder en face ».
L’auteur indique que dans son roman les faits et les personnages sont réels. Néanmoins leur vie privée et leurs propos sont imaginaires.
Nous étions une bonne douzaine à débattre autour de ce livre. La majorité d’entre nous l’a vraiment apprécié. Plusieurs d’entre nous l’ont même lu deux fois et à la deuxième lecture, ont pu constater que leur regard sur les propos de l’auteur était différent.
Une majorité d’entre nous a trouvé le livre très bien écrit, très vivant. Giulano Da Empoli est un conteur. Il restitue des faits historiques avec beaucoup de force narrative.
*Il s’agit d’une critique du système soviétique à travers la description d’une société totalitaire où tout est gouverné par un pouvoir technologique très sophistiqué et liberticide (voir les ouvrages d’Aldous Huxley et de George Orwell qui se seraient inspiré de cette fiction).
2
Voici les grandes lignes de nos échanges :
La forme littéraire romanesque et les généralités sur « l’âme russe » ont suscité des critiques:
Certains d’entre nous ont fait part de leur malaise par rapport à ce roman dont la base est historique mais dans lequel il est difficile de faire la part du vrai et de l’imaginaire. Tout l’aspect très documenté du livre perd un peu de son intérêt car le romanesque y est entremêlé avec des événements qui ont fait l’actualité.
D’autres ont été gênés par un fil conducteur du roman un peu trop ténu, par exemple le « je » du tout début du livre ne correspond pas à celui du milieu du livre, ce qui rend le livre un peu confus.
Plusieurs d’entre nous ont été agacés par les poncifs sur l’esprit et le comportement russe (une sorte de « romantisme slave ») qui émaillent le roman.
Une réflexion sur le pouvoir très instructive
Cette réflexion très riche sur l’exercice du pouvoir de Poutine a été trouvée néanmoins confuse, ambigüe dans ses objectifs. Le livre est très habile, très « malin » mais il appelle des questionnements : Où l’auteur veut-il en venir ? Quel est son positionnement, son message ?
Certains d’entre nous ont trouvé qu’il n’y a aucune critique du système en place, qu’il n’y pas d’évocation des vrais opposants au régime, que l’auteur a une certaine « complaisance » vis à vis de Poutine.
Par contre, un aspect du livre a été très apprécié : Il nous démontre comment Poutine a accédé au pouvoir et comment on est arrivé inexorablement à la guerre en Ukraine.
Le livre est sorti en avril 2022 deux mois après le début de la guerre, ce qui interroge. Certains de nous ont d’ailleurs vu dans cet auteur un coté visionnaire.
Enfin, comme il en a été fait la remarque, ce livre peut être vu comme une « illustration » de la stratégie du chaos que Da Empoli a développée dans son livre intitulé : « les ingénieurs du chaos » publié en 2019. Le désordre, les conflits incessants, appellent l’installation d’un régime fort, violent, voire d’une dictature.
J’ai trouvé sur internet de « la règle du jeu », une analyse très intéressante de ce livre faite par Gilles Hertzog que je joins à ce compte rendu.
Des personnages complexes et sans état d’âme
Le personnage de Baranov patriote, homme de théâtre doté de beaucoup d’imagination, de sens de la communication a été vu comme étant surtout préoccupé de lui-même. Il cherche à se mettre à l’épreuve, à relever des défis personnels mais perd de vue l’intérêt de son pays.
3
Le regard de Baranov sur le personnage de Poutine a évolué au fil du livre. Au début, il est montré comme austère, assez strict, compétent, sportif. Après la chute d’Eltsine qui a participé à l’humiliation de la Russie et à son effondrement, il endosse le rôle de « sauveur » du mythe de la grande Russie. A la fin du livre, il apparait froid, sans humanité et dans un grand isolement.
Comme il a été relevé, en tant qu’ancien agent du KGB, Poutine perçoit le monde en paranoïaque.
Répondre
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.